Une épaisse étude de l’ONU vient de propulser la France au 4ème rang des e-gouvernement, saluant en particulier son e-administration. Plus modeste mais néanmoins instructif, le baromètre de la dématérialisation réalisé par JVS-Mairistem, un éditeur de logiciel de gestion pour les collectivités locales, sur les communes de moins de 10000 habitants, montre une e-administration à deux vitesses : plus la commune est petite, plus il est difficile de faire la mutation, même si les agent-e-s sont de bonnes volonté. Ce, alors que le numérique est depuis plusieurs années un axe important de modernisation de l’action publique, vu comme un moyen de l’’améliorer et de générer des économies.
Une opportunité pour un tiers – 38% des 759 mairies interrogées estiment que la dématérialisation est une opportunité, 12% la voit comme une contrainte, un chiffre qui monte à 13,5% pour les communes de moins de 1000 habitants, contre 2% dans les communes de 3500 à 10000 habitants, et une sur deux indique que le bilan dépend du projet.
Hélios PES V2, qui sert aux échanges comptables, est l’outil le plus adopté, par la force légale des choses : il sera obligatoire au 1er janvier 2015. Vient ensuite la N4DS (norme pour la déclaration dématérialisée des données sociales), loin derrière avec 44,3% puis Xémélios, un outil pour lire des données au format XML, 38,7%.
De façon logique, Hélios arrive en tête des logiciels les plus en cours d’adoption, suivi par le certificat ou le parapheur électronique (25%), qui lui sont liés puisqu’ils sont nécessaires pour passer à la “full démat”. La dématérialisation de la paie, qui n’est pas une obligation arrive à égalité.
Comedec, le projet phare du ministère de la Justice, qui sert à dématérialiser l’état civil mais n’est pas obligatoire, est aussi le plus méconnu, 67% des communes ne le connaissent pas et 7% l’ont adopté, devant Editique (dématérialisation du courrier) et SDFI (dématérialisation des données relatives aux personnes physiques).
De façon assez étonnante, les collectivités mettent d’abord en avant le gain pour l’environnement comme avantage (69%), loin devant les autres : gain de temps (48%), évolution du métier, gain d’argent, gain en efficacité interne.
L’amélioration du service aux administrés n’est avancé que dans 23%, à l’avant-dernière-place, devant la sécurité. Et tout de même 6% qui n’y voit aucun avantage.
Une ville sur deux privée de haut débit –Ces chiffres récoltés se comprennent dans le contexte général de travail de ces petites villes, détaillé dans la première partie de l’étude : équipement, connexion et personnels insuffisants, avec une dégradation en fonction de la taille de la ville.
Côté équipement et connexion :
- 81% des répondants ont moins de 5 postes informatiques, 90% dans les communes de moins de 1000, mais 61% dans les communes de 3500 à 10000 habitants.
- Plus de la moitié des communes n’ont pas de serveur informatique, pourtant nécessaire pour mettre en oeuvre Comedec. “Un système d’information ouvert et interopérable est essentiel pour mettre en oeuvre de nombreux projets de dématérialisation”, rappelle l’étude.
- Une mairie sur 2 n’a pas d’accès au haut-débit, 54% dans les communes de moins de 1000 habitants, 33% dans les communes de 3500 à 10000 habitants.
Côté ressources humaines :
- Même dans la dernière strate de taille, une minorité de communes a un élu en charge du numérique, 44%, un taux qui tombe à 19% dans les communes de moins de 1000 habitants. L’intercommunalité ne pallie pas ce manque.
- des agents polyvalents : “80% des répondants ne disposent ni d’un service informatique, ni d’un service information-communication, ni d’un service de relation aux citoyens, ni d’un chargé de mission en lien avec le numérique.” Si les communes les plus grosses sont mieux pourvues, elles ne sont qu’un tiers à bénéficier d’un service informatique. Le ou la secrétaire de mairie joue souvent le rôle de personnel clé, polyvalent.
- le travail collaboratif est encore peu développé au sein de l’intercommunalité, ce qui ne facilite pas l’entraide et la mutualisation : un tiers en moyenne le pratique. La signature, et le certificat et parapheur électronique sont les outils d’organisation internes les plus utilisés, mais restent minoritaires, avec respectivement 36% et 24%.
Les témoignages illustrent ce hiatus entre discours officiel, bonne volonté et réalité du terrain : l’e-administration n’a rien d’une clé magique qui passerait un coup de balai simplificateur sur l’administration vieillotte, et la faiblesse des ressources :
« La dématérialisation permet un gain de temps dans l’échange des données entre les collectivités, la préfecture et la trésorerie mais les moyens techniques (connexion internet et sauvegarde) sont insuffisants pour abandonner totalement les impressions papier. » Une commune de 670 habitants (64)
« Avec la dématérialisation, les échanges entre la commune et les administrations sont plus rapides et plus simples mais le travail en amont reste très important quand le matériel n’est pas adapté. » Une commune de 250 habitants (71)
« La dématérialisation est une chose utile et on gagne du temps quand on a les outils adéquats … Le seul problème est qu’il faut faire comprendre au Maire les avantages et les obligations, puis le convaincre d’engager le budget nécessaire pour le bon matériel. C’est loin d’être facile pour les petites communes. » Une commune de 105 habitants (57)
Demande d’accompagnement – Les répondants soulignent la nécessité d’un meilleur accompagnement. « La dématérialisation est un progrès positif dans l’ensemble mais je perçois un manque d’investissement de la part de l’Etat, tant au niveau des moyens matériels que de l’information et de la formation », témoigne une commune de 150 habitants de l’Aude.
Paradoxalement, plus la commune est grande, plus le manque de compétences est cité comme un obstacle : la polyvalence des agents des petites communes les rend peut-être plus optimistes sur leurs capacités à intégrer des nouveautés ? Le CNFPT essaye déjà de répondre à ces demandes, par exemple avec l’organisation de journées sur Comedec en septembre 2014, et son intégration dans les formations des secrétaires de mairie. Encore faut-il qu’ils ou elles se dégagent du temps pour la formation…
Le panel
Les 729 répondants sont en majorité issus de cette myriade de petites communes rurales qui constituent la majorité des 36000 communes françaises : “La répartition des répondants au baromètre, selon trois strates de nombre d’habitants est proche de la répartition nationale : 78% des communes ont moins de 1000 habitants, 15,3% ont entre 1000 et 3500 habitants, 6,7% ont entre 3501 et 10 000 habitants.”