« On va demander une réunion rapide de l’ARF (Association des régions de France) et, dans la foulée, un rendez-vous à Matignon pour savoir un peu où il (Manuel Valls, ndlr) veut aller et comment il veut y aller », a dit M. Gewerc, indiquant qu’il avait échangé à ce sujet dès mardi soir avec plusieurs de ses collègues.
« Il manque le décodeur » pour comprendre « la déclaration d’intention » faite par M. Valls au sujet de la suppression des départements, de la diminution du nombre de régions et de l’abolition de la clause générale de compétence, a estimé le président de la région Picardie.
« Je voudrais savoir comment cela va être mis en oeuvre et comment dans la pratique, on va trouver des solutions qui aillent dans le sens qu’il souhaite mais qui tiennent compte de ce qui marche depuis des décennies », et c’est là que « dialogue et clarifications s’imposent », a-t-il poursuivi.
Impact de la suppression des départements – Pour illustrer ses interrogations, M. Gewerc a cité l’impact d’une suppression des départements. Comme « on ne peut pas couper les citoyens de la proximité », cela signifierait « un glissement des prérogatives départementales vers les intercommunalités ». Or, ce point n’a pas été abordé par M. Valls, a-t-il souligné.
Par ailleurs, a-t-il observé, « donner plus de pouvoirs aux régions, faire des régions plus grandes et moins nombreuses, et en même temps supprimer les départements, ce n’est pas a priori rapprocher les citoyens » des pouvoirs et services publics.
Selon M. Gewerc, depuis toujours favorable à la suppression de la clause générale de compétence, « on fera des économies en délimitant les compétences et non en réduisant les régions ».
M. Gewerc est par ailleurs vent debout contre un « éclatement » de sa région au profit des trois voisines. Donner la Somme au Nord/Pas-de-Calais, l’Aisne à la Champagne-Ardenne, et l’Oise à l’Ile-de-France, n’aurait, a-t-il assuré , pas grand sens, en détruisant tout ce qui a été bâti depuis 1964 en Picardie, « pôle d’équilibre » entre Lille et Paris.
La Picardie en question – « Cela aboutirait à faire disparaître notamment l’Académie d’Amiens, en marginalisant des fleurons comme l’Université de technologie de Compiègne, qui en coopération avec l’Université de Picardie Jules Verne, a constitué le premier pôle d’Europe sur la chimie du végétal », a-t-il pris pour exemple.
La région de Picardie a été conçue, a-t-il rappelé, pour être « un pôle d’équilibre entre Lille et Paris ». Ce n’est pas en plaçant les 800.000 résidents de l’Oise, et sa préfecture, Beauvais, 53.000 habitants, dans les mains du monstre qu’est déjà l’Ile-de-France, avec ses 12 millions d’habitants, que l’on défendra au mieux leurs intérêts, a déclaré en substance M. Gewerc.
Pour lui, les projets de redécoupage de la carte des régions qui circulent ne sont parfois que le fruit de « la vision géostratégique de géographes parisiens ». Ainsi « la Haute Normandie a beaucoup plus de points communs avec la Picardie qu’avec la Basse Normandie », selon lui, et un « rapprochement » aurait donc bien plus d’intérêt que la reconstitution de la grande Normandie que concocterait le pouvoir central.
Big bang territorial : réactions politiques
Voici des réactions politiques mercredi au bouleversement de l’organisation territoriale française proposé par le Premier ministre Manuel Valls :
– François Filllon, député de Paris: supprimer une région sur deux, « je ne pense pas que ce soit une bonne idée ». « Qu’est-ce qui coûte cher ? 36.000 communes, 100 départements. Je propose d’organiser la fusion des départements et des régions ». « Annoncer pour 2020 la disparition des départements, ce n’est pas sérieux, pas réaliste. C’est des trucs » (sur RTL)
– François Baroin, député-maire de Troyes : « Je ne suis pas hostile a priori au rapprochement des régions. Encore faut-il que les gens le souhaitent. On ne peut pas être de nulle part ». « Ce qui me choque dans cette affaire, c’est qu’il renvoie ça aux calendes grecques. Quel est le caractère sérieux d’un ministre qui s’engage au-delà du mandat qui a été confié par le peuple ? » « Les postes budgétaires importants, ce sont les charges de personnels, je propose une révision générale de politiques publiques avec la relance du 1 sur 2 » (taux de remplacement des fonctionnaires partant à la retraite, ndlr) (sur i>TELE)
– René Dosière, député PS de l’Aisne: « L’ensemble de ces propositions, c’est une bonne solution. Prises une par une, ce n’est pas le cas. Par exemple, la diminution des régions à elle seule n’entraîne pas des économies importantes, au maximum un milliard. Mais peut-être que ce n’est pas l’objectif, qui est peut-être de leur donner plus de muscle, leur donner plus de pouvoir pour créer de l’emploi. (…) Les régions n’ont pas de personnel, pratiquement pas en dehors du personnel qui gère les lycées. Sinon, l’administration générale des régions est très faible. C’est pourquoi les économies seraient très faibles. Ce ne serait pas le cas des communes. 165 milliards de dépenses qui se superposent au niveau communal entre les communes, les intercommunalités, les syndicats divers. Le gisement d’économies est là. Si on veut faire des économies , on supprime là des dépenses inutiles: dans les 165 milliards d’euros dépensés au niveau communal, on peut faire au moins 10% d’économies. (…) On a une vision globale ! Chacun des échelons est concerné : communes, départements, régions. Il y a une cohérence pas vue jusqu’à présent. Si tout ce que Manuel Valls a annoncé sur le millefeuille administratif territorial, on peut économiser à terme 15 à 20 milliards » (sur Europe 1).
Jean-Michel Baylet, président du PRG : « Réduire de moitié les régions, c’est mettre la France au niveau des grands pays européens que sont l’Allemagne et l’Espagne. Quand les régions ont été créées, on a, par exemple, fait deux Normandie pour faire plaisir à M. (Jean) Lecanuet et M. (Michel) d’Ornano. Donc, oui, il faut aller dans ce sens pour peu que ça se fasse dans la concertation. Quant aux départements, je suis plus sceptique », a-t-il ajouté. « Je ne suis pas convaincu que ce soit une attente première des Français, en ce qui concerne le département, qui est une collectivité de plein exercice, qui fonctionne bien », selon l’élu du Tarn-et-Garonne. Il a observé qu’avec ses huit départements, elle est « grande comme la Belgique ». « Je vois mal comment depuis Toulouse on pourrait faire de la proximité des montagnes pyrénéennes aux contreforts de l’Aveyron. Le conseil général, c’est la proximité pour la solidarité » et celle « des services publics », a-t-il plaidé. « Je ne suis pas sûr que ce projet aille à son terme », a glissé le responsable, qui fut secrétaire d’Etat aux collectivités locales de François Mitterrand.
Patrick Kanner, président PS du conseil général du Nord : « Allons jusqu’au bout. Puisque le Premier ministre veut un « big bang », moi j’irais encore plus loin. Je suis prêt à avoir ce débat d’avoir une vraie organisation fédérale, comme en Allemagne, comme en Belgique. Ce serait là le vrai changement. Si on cherche des économies, il faut que tout soit mis sur la table. Oui à la réforme, oui à une réforme concertée, oui à une réforme adaptée aux territoires, mais il n’y a aucune raison qu’il y ait une collectivité, en l’occurrence le département, qui soit la victime expiatoire des déficits de l’Etat. N’ayons pas qu’une approche purement comptable de la décentralisation. Je suis pour le changement, mais pour un changement maîtrisé qui apporte une vraie valeur ajoutée au citoyen ».
Elisabeth Guigou, députée PS de Seine-Saint-Denis : « Les services des départements devraient normalement être rattachés aux intercommunalités », en approuvant la proposition de Manuel Valls de réfléchir à une suppression des conseils départementaux d’ici à 2021. Le Premier ministre « a annoncé la suppression des conseils départementaux, mais pas des départements », a commenté Mme Guigou devant l’Association des journalistes parlementaires, soulignant l’importance des missions accomplies par les services départementaux « de proximité ». En tout cas en milieu urbain, « les services des départements devraient normalement être rattachés à l’intercommunalité ». Mais, dans certains territoires ruraux, a-t-elle nuancé en citant l’exemple de la Dordogne, « le département a une utilité particulière ».
Ségolène Royal, La ministre de l’Ecologie : « Je vais consulter d’abord les élus, majorité et opposition. Je souhaite que ce débat dépasse les clivages politiques parce que c’est l’avenir de nos territoires que nous mettons en mouvement pour les générations futures », a déclaré Mme Royal à la sortie du Conseil des ministres. « Il est très important que l’on retrouve des synergies entre nos régions, ce qui n’empêchera pas de mettre en place, avec les régions avec lesquelles nous ne fusionnerons pas, des actions communes, je pense aux universités, aux transports ferroviaires, aux dynamiques de recherche. La réforme administrative est attendue depuis de longues années en France. La simplification administrative, faire des économies en regroupant les énergies, c’est quelque chose qui est très attendu, qui demande du courage. Et ce courage, le gouvernement l’a aujourd’hui et va mettre en place cette simplification administrative pour qu’un pays moderne comme la France voie ses institutions adaptées à la fois à la rapidité de l’action publique nécessaire et aux économies de la dépense publique ».
Bruno Sido, président du groupe DCI (Droite, centre et indépendants) de l’ADF et Président du Conseil général de la Haute-Marne : « En à peine un an le Gouvernement dit tout…..et son contraire. Les départements du groupe DCI, en ce domaine comme dans le domaine économique et de l’emploi, demandent de la cohérence et de la lisibilité dans l’action publique. C’est la condition préalable pour restaurer la confiance. Cette nouvelle organisation territoriale « technocratique » serait une négation des libertés locales et un immense recul du mouvement décentralisateur engagé en 1982 par un Gouvernement de gauche. Cette recentralisation vide de leur contenu l’ensemble de mandats de nos élus locaux et représente donc un danger pour la vitalité de notre démocratie locale. Quel éloignement entre élus et administrés dans la nouvelle organisation du territoire ! Quel éloignement des centres de décisions et d’actions ! En quoi cela dégagerait-il la moindre économie alors qu’il faut réduire d’urgence le déficit public.
François Patriat, président PS de la région Bourgogne : « Je m’engage d’ores et déjà à entamer les discussions avec la région Franche-Comté afin de mutualiser les moyens et les compétences majeures entre nos deux régions: transports, formation professionnelle, développement économique. Concernant le millefeuille territorial, les mesures proposées vont dans le sens de préconisations que j’avais émises : suppression de la clause générale de compétences, renforcement de l’intercommunalité, rapprochement des régions et réforme des conseils départementaux. Ces dispositions permettront de supprimer les doublons et d’alléger les charges de structure de façon significative ».
Philippe Richert (UMP), président de la région Alsace a jugé mardi les propositions de réforme territoriale annoncées par Manuel Valls « complètement déphasées avec la réalité sur le terrain », alors que son homologue en Lorraine Jean-Pierre Masseret (PS) les a saluées : « Cette perspective correspond à une exigence d’efficacité de la dépense publique » au service des citoyens, a-t-il déclaré M. Masseret.
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