Le rapport était attendu, et une partie de son contenu révélé en amont par Les Echos avait accentué cette attente. Le document désormais public, le soufflé se dégonfle. Rarement Didier Migaud n’avait été aussi peu incisif à l’encontre des finances publiques.
« Compte tenu des réactions qui se sont déjà exprimées à la suite d’une fuite du rapport provisoire de la Cour, je souhaite préciser que la Cour n’a naturellement aucun parti pris, ni centralisateur, ni décentralisateur, a affirmé le Premier président en préambule. Dans de précédents rapports, elle a pu constater que l’organisation territoriale faisait intervenir de trop nombreux acteurs et souhaité qu’interviennent une simplification et une clarification de l’action publique locale. L’objet de ce rapport n’est pas de traiter de ces sujets. »
Le rapport de la formation interjuridictions – créée pour traiter des finances locales – dresse en effet un tableau plutôt bienveillant à l’égard des collectivités, dont la situation financière est jugée « favorable ».
Tant le déficit que la dette sont « limités », même si le premier a connu « une sensible augmentation en 2012 » et que la seconde est en « augmentation continue depuis 2003 ».
Rémunération des personnels – Les magistrats financiers se focalisent sur la maîtrise des dépenses de fonctionnement, avançant comme pistes d’économie la rationalisation du patrimoine immobilier, la professionnalisation des achats courants ou la réduction des dépenses de publicité ou de relations publiques.
Mais ils se sont surtout intéressés à la rémunération des personnels, la masse salariale s’étant accrue de 3,3 % en 2012 en valeur (Lire l’article « Hausse des dépenses de personnel : le bloc local particulièrement visé par la Cour des comptes » sur le site du Courrier des maires).
Toute conclusion hâtive doit toutefois être écartée, selon la Cour, du fait de l’hétérogénéité des situations, à la fois entre les niveaux de collectivités et les territoires.
Avec un tel présupposé, les recommandations sont traditionnelles, voire même souvent déjà inscrites dans des textes gouvernementaux.
Ainsi le projet de loi « métropoles » en cours d’examen au Parlement prévoit-il la création d’une instance de concertation autour des finances locales – le Haut conseil des territoires (toutefois supprimé par le Sénat) – demandée par le rapport. La suggestion de renforcer la péréquation horizontale est, elle aussi, prévue par des textes passés (trajectoire du FPIC et du FSRIF) et à venir (le fonds de péréquation des départements d’Ile-de-France devrait être inscrit prochainement dans la loi).
La proposition de mettre en place un fonds de soutien à l’attention des collectivités détentrices d’emprunts toxiques est, elle, prévue par le projet de loi de finances pour 2014.
Transparence des comptes – Quant à l’amélioration de la transparence et la certification des comptes, c’est le 3e projet de loi de décentralisation qui reprend les préconisations des magistrats financiers.
A noter toutefois, à ce sujet, que la Cour se prononce pour l’ouverture du chantier d’un compte financier unique au titre de l’amélioration de la qualité de l’information financière.
« C’est une très lourde réforme, notamment en terme informatique, qui peut être menée à moyen terme », estime Jean-Philippe Vacchia, président de la formation interjuridictions(1).
De la péréquation, il en faudrait aussi dans la baisse des dotations, remarque la Rue Cambon. Pas à chaque niveau de collectivités (c’est déjà prévu pour les départements en 2014), mais entre les échelons, au détriment du bloc local.
« La Cour estime que la baisse des dotations a vocation à être modulée dans ses effets selon les catégories de collectivités en fonction des marges de manœuvre dont elles disposent, au lieu d’une répartition uniforme », observe Didier Migaud.
Ce dernier note par ailleurs que la réduction des concours de l’Etat ne doit pas entraîner une hausse des autres recettes des administrations locales, notamment fiscales.
Et de s’interroger sur l’étrange mécano constitué cette année avec l’attribution de 830 millions supplémentaires de frais de gestion aux départements, alors qu’ils contribueront pour 476 millions à la réduction des dotations.
Les associations d’élus dénoncent « une analyse réductrice » de la gestion locale
A la suite de la présentation de ce rapport, l’AMF, l’AMGVF et l’ACUF dénoncent une analyse réductrice de la gestion des collectivités et une vision purement comptable des finances publiques locales et précisent un certain nombre de points :
Diminution des recettes. La Cour des comptes recommande de revoir la répartition pour 2015 de la baisse des dotations pour augmenter la contribution du bloc communal. « Or les communes et intercommunalités opèrent un effort sans précédent, subissant, après le gel des dotations, une véritable diminution de leurs recettes alors même qu’elles prennent à leur charge, bien souvent à la demande de l’Etat, de nouvelles dépenses, font valoir les associations d’élus. Réforme des rythmes scolaires, augmentation des taux de cotisations de la CNRACL, augmentation de la TVA sur les services publics locaux, contribution climat-énergie, développement du numérique, contrats d’avenir…: le bloc communal subit un « effet de ciseaux » sans précédent, et cela dans un contexte de longue crise économique et sociale. Par ailleurs, contrairement à l’affirmation de la Cour, la réforme fiscale n’a pas contribué à consolider l’autonomie fiscale des communes et des communautés. Au contraire, elle a accru le poids des dotations régulées en loi de finances ».
Investissement local. En matière d’investissement local, la Cour juge que « rien n’assure la bonne allocation des ressources aux investissements locaux » et souhaite mettre en place « au sein de chaque niveau de collectivités, une capacité d’investissement appropriée, c’est-à-dire tournée vers des équipements structurants et jugés les plus utiles. Des procédures d’évaluation systématique de la rentabilité économique et sociale devraient être mises en place ».
Les élus du bloc communal s’opposent fermement à la présomption de mauvaise gestion locale qui transparaît dans les propos de la Cour. Ce point de vue n’a qu’un objectif : réduire la dépense locale sans se préoccuper des conséquences sur l’investissement. Les communes et leurs intercommunalités, dont les budgets sont contraints, tournent déjà leurs efforts vers « les équipements structurants jugés les plus utiles ». Elles s’interrogent sur la capacité de la Cour à proposer un mécanisme crédible d’évaluation de la rentabilité économique et sociale des investissements locaux.
« Les communes et leurs intercommunalités ont un seul objectif : offrir à la population des services publics locaux de qualité ! Rappelons qu’en raison de l’augmentation régulière de la population française (plus 3 millions en 10 ans), les besoins à satisfaire sont de plus en plus importants. Le rapport aurait gagné à ne pas ignorer ce lien direct entre les citoyens et leurs élus », font valoir les association du bloc local, qui rappellent leurs propositions afin de réduire les charges imposées :
- ils réclament une vraie négociation sur l’impact des politiques publiques nationales et européennes, dans un lieu de concertation tel que le Haut conseil des territoires, ou ce qui pourrait le préfigurer, réunissant l’ensemble des acteurs concernés ;
- ils exigent une évaluation objective des transferts de charges décidés unilatéralement par l’Etat et de l’impact financier des normes imposées aux collectivités. C’est ainsi que de véritables économies de long terme pourront être réalisées, et non pas par la contrainte comptable sur les recettes ;
- ils rappellent que la dépense publique n’est pas liée de manière mécanique au nombre de fonctionnaires : réduire leur nombre tout en conservant le même niveau de services à la population ne diminue pas nécessairement les dépenses. En effet, lorsque la production de services est externalisée (DSP ou acteurs privés), cela a pour conséquence une réduction des fonctionnaires, mais ne constitue pas obligatoirement une garantie de baisse des coûts.
« Dans un contexte de crise où chacun doit contribuer à la maîtrise des dépenses publiques, les élus du bloc communal assument leurs responsabilités sous le contrôle du seul suffrage universel, duquel procède toute légitimité », rappellent les associations d’élus, feignant d’ignorer que la Cour des comptes participe heureusement, au même titre que le suffrage universel, au bon fonctionnement de la démocratie et au contrôle citoyen du bon usage des deniers publics…
Références
Les finances publiques locales - Cour des comptes - octobre 2013
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Notes
Note 01 Nommé à la tête de la 4e chambre de la Cour, il quittera ses fonctions après la présentation du rapport. Retour au texte