Par rapport au texte présenté par le précédent gouvernement en octobre 2009, le projet de loi ne comporte, sur ce point, qu’une seule différence : le mode de scrutin de liste serait applicable à compter de 1 000 habitants (et non plus, comme dans l’ancien projet de loi, de 500 habitants).
Le système retenu est celui applicable dans les arrondissements de Paris, Lyon et Marseille (dit « mode de scrutin PLM ») :
- les candidats au mandat de conseiller municipal et aux fonctions de délégué communautaire des EPCI à fiscalité propre figureront sur une seule et même liste ;
- les premiers de la liste auront vocation à siéger au conseil municipal de leur commune et au conseil communautaire tandis que les suivants de liste ne siègeront qu’au conseil municipal de leur commune ;
- le nombre de sièges dont dispose la commune sera réparti, entre les différentes listes candidates à l’élection municipale, au vu des résultats obtenus par chacune d’entre elles à cette élection, selon le même mode de scrutin que celui servant à répartir les sièges du conseil municipal (représentation proportionnelle à la plus forte moyenne après attribution préalable de la moitié des sièges à la liste arrivée en tête).
Notons de prime abord que ce mode de scrutin n’a rien d’un « fléchage » qui aurait consisté en la possibilité (pour les équipes candidates ou les électeurs eux-mêmes) à indiquer librement qui, parmi les candidats figurant sur la liste aux municipales, devait, selon eux, siéger également au conseil communautaire.
Surtout, derrière l’unanimisme de façade (d’ailleurs bien relatif, une récente enquête de l’Association des petites villes de France montrant que seuls 25 % des maires de petites villes sont favorables à cette solution) ce mode de scrutin « PLM » est probablement le moins satisfaisant que l’on puisse imaginer pour élire des délégués intercommunaux.
S’inspirer du mode de scrutin PLM a peu de sens : il a été conçu pour subdiviser une circonscription communale jugée trop étendue, pas pour fédérer dans une nouvelle entité des communes préexistantes.
Une rigidité supplémentaire – Sur le plan politique, ce mode de scrutin ne permettra aucun progrès dans le sens d’une meilleure identification, par les citoyens, de leurs élus intercommunaux.
A l’occasion des élections municipales, les électeurs continueront de choisir un seul bulletin, sur lequel figurera une seule liste : celle des candidats à l’élection municipale.
Certains électeurs sauront peut-être que les candidats placés en tête de cette liste deviendront, automatiquement, conseillers communautaires. L’immense majorité des citoyens ne se rendra même pas compte de la réforme.
On voit mal, dans ces conditions, comment les enjeux intercommunaux feraient, plus qu’aujourd’hui, l’objet d’un débat spécifique pendant la campagne électorale ni comment l’intercommunalité deviendrait, par l’effet de la réforme, un nouvel espace civique.
Ce mode de scrutin introduirait même une rigidité supplémentaire par rapport au mode d’élection actuel. Alors qu’aujourd’hui un conseil municipal peut décider de répartir la tâche entre ses élus en envoyant siéger au conseil communautaire de simples conseillers municipaux, demain, si le projet était adopté en l’état, les candidats placés en haut de la liste seraient automatiquement élus délégués intercommunaux.
Ainsi, puisque l’ordre sur la liste annonce, traditionnellement, qui sera maire et qui seront, ensuite, ses adjoints, la réforme favorise le cumul des mandats, alors que dans le même temps une réflexion poussée est menée pour le limiter…
Certes rien, diront les purs juristes, n’interdit de placer aux premières places de la liste les futurs délégués communautaires et, à leur suite, les futurs adjoints.
Mais la pratique politique a d’autres impératifs, d’autres contraintes, d’autres rigidités. Tentez d’expliquer à Maurice, 72 ans, adjoint aux finances depuis 20 ans, qu’il restera bien adjoint aux finances pendant la prochaine mandature, mais que, pour permettre à Mathieu, 25 ans, de siéger au conseil communautaire, les nouvelles règles vous obligent à ne proposer à Maurice qu’une 17è place sur la liste.
Et maintenant, vérifiez si Maurice accepte, s’il mobilise son réseau, s’il vous apporte, pendant la campagne, l’aide décisive qu’il vous a toujours donnée…
Mais dans les communes de moins de 1 000 habitants, le cumul des mandats et fonctions n’est plus seulement favorisé, il est institutionnalisé : la commune sera représentée par les élus du conseil municipal « dans l’ordre du tableau », c’est-à-dire d’abord par le maire, puis par son premier adjoint, et ainsi de suite, jusqu’à épuisement du nombre (traditionnellement assez faible) de sièges dont dispose la commune rurale.
Et sur ce point, l’exposé des motifs du projet de loi contient une argumentation particulièrement paradoxale, pour ne pas dire totalement absurde : « Le maintien du régime actuel pour ces communes (élection par le conseil municipal) aurait abouti à priver les électeurs de leur choix, en renvoyant le choix des délégués à une élection au suffrage indirect, au sein du conseil municipal ».
Pourtant, en renvoyant le choix des délégués à l’ordre du tableau, le projet de loi aboutit bien à renvoyer, lui aussi, ce choix à une élection au suffrage indirect !
La seule différence entre la situation actuelle (élection par le conseil municipal) et la réforme proposée tient à la rigidité supplémentaire qui serait introduite, obligeant au cumul de la fonction de maire et du mandat de conseiller communautaire…
Pour, à la fois, assurer la visibilité de la nouveauté et contourner les rigidités du scrutin PLM, il serait envisageable que, sur un seul et même bulletin, deux listes figurent : l’une pour l’élection communale, l’autre pour l’élection intercommunale.
La proposition en était faite, dès 2009, par l’auteur de ces lignes dans La Gazette des communes, des départements et des régions. Mais ce modèle ne fait pas encore l’unanimité et demeure impossible à mettre en œuvre, techniquement, dans les communes de moins de 1 000 habitants.
Alors, à défaut, il conviendrait de réexaminer les mérites de la solution actuelle : une désignation des délégués communautaires au sein de chaque conseil communal des communes membres.
Certes, la loi du 16 décembre 2010 a prévu le principe d’une élection directe des délégués communautaires en mars 2014. Mais il ne s’agit là que d’une annonce de principe, que le législateur pourrait aisément abroger.
Surtout, les avantages supposés d’une élection directe ne lui sont pas spécifiques : ils peuvent être aussi bien atteints dans le cadre d’une élection indirecte.
Ainsi, deux arguments sont traditionnellement invoqués au soutien de l’élection directe. D’une part, il conviendrait d’améliorer la parité au sein des conseils communautaires.
Mais rien n’interdit au législateur (dans les communes de 1 000 habitants et plus) d’imposer aux listes déposées en conseil municipal pour l’élection des délégués communautaires d’être paritaires.
D’autre part, il conviendrait de permettre une meilleure représentation de l’opposition municipale au conseil communautaire. Mais, de même, rien n’interdit au législateur de prévoir un mode de scrutin proportionnel lors de l’élection des délégués communautaires en conseil municipal.
Ce système était d’ailleurs celui applicable pour l’élection des délégués au sein des communautés urbaines, jusqu’à ce que la loi du 16 décembre 2010 ait prévu de le supprimer en mars 2014, dans la perspective d’une élection directe.
Compromis boiteux – Alors, puisque les deux avantages supposés d’une élection directe peuvent être acquis dans le cadre d’une élection indirecte légèrement réformée, quelle est la véritable « valeur ajoutée » d’une élection directe ?
A ce stade de la discussion, en général, apparaît une affirmation péremptoire : une structure qui vote l’impôt doit être élue directement par les citoyens. Bien. Cet argument est en effet puissant. Il impose seulement à celui qui l’invoque de rejoindre les rangs des partisans d’une VIe République.
Car la Ve, en prévoyant l’élection indirecte du Sénat (article 24, alinéa 4, de la Constitution), a bien confié le soin de voter l’impôt à une assemblée élue au suffrage indirect.
Ce serait une incohérence blâmable que de continuer de tolérer du Sénat ce qui serait refusé aux intercommunalités.
Dès lors, dans le cadre du débat actuel et quelle que soit la position de chacun sur la place qu’il estime devoir revenir, à l’avenir, à nos ancestrales communes, la préférence doit être donnée à un choix clair.
Soit la majorité parlementaire assume souhaiter la création d’un nouveau niveau de décision politique, expressément supra communal, et il conviendra alors d’élire ses élus sur une liste séparée et sur une seule grande circonscription.
Soit la majorité veut conserver le caractère « intercommunal » des structures actuelles, et le statu quo semble alors préférable au mode de scrutin « PLM », prétendu fléchage qui n’est en réalité qu’un compromis boiteux soulevant plus de problèmes qu’il n’en résout, à l’image de ces « communautés d’agglomération nouvelle », prototypes d’EPCI élus au suffrage universel direct introduits dans le droit en 1983 et supprimés par la loi du 16 décembre 2010… sans avoir jamais été créés en pratique.
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