Depuis plusieurs années, Notrefamille.com, qui édite le site de recherche genealogie.com, demande aux services d’archives des collectivités de lui fournir les fichiers contenant des données du recensement ou relatives à l’état civil. De nombreux départements se sont opposés à la demande, donnant lieu à plusieurs contentieux, et à un débat tendu entre archivistes et entreprises réutilisatrices.
La décision de la Cour administrative d’appel de Lyon vient donc préciser le cadre de la réutilisation des données publiques dans le cas de données de nature culturelle.
Pour la Cour, il appartient à l’autorité compétente, saisie d’une demande de réutilisation de ces documents, de s’assurer que cette réutilisation satisfait aux exigences qu’imposent les dispositions de l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978 qui, s’agissant d’informations publiques comportant des données à caractère personnel, renvoie aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978.
Deux textes s’opposent directement : la loi du 17 juillet 1978, qui consacre la libertĂ© d’accès aux documents administratifs et la rĂ©utilisation des informations publiques, et celle du 6 janvier 1978 relative Ă l’informatique, aux fichiers et aux libertĂ©s, qui a principalement pour but d’encadrer l’usage des donnĂ©es Ă caractère personnel.
D’emblée peuvent apparaitre les contradictions ainsi que les difficultés d’application. Dans quelle mesure une société peut-elle accéder et réutiliser les informations publiques figurant dans des documents d’archives détenus par une collectivité publique ?
Refus rĂ©pĂ©tĂ©s et motivĂ©s du conseil gĂ©nĂ©ral – En l’espèce, la sociĂ©tĂ© Notrefamille.com, propriĂ©taire du site de recherche genealogie.com a demandĂ©, en vain, Ă plusieurs reprises, au prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral du Cantal de lui communiquer, en vue de leur rĂ©utilisation pour un usage commercial, des cahiers de recensement des annĂ©es 1831 Ă 1931 dĂ©tenues par le service des archives. Cette sociĂ©tĂ© souhaite mener Ă bien son projet de traitement et de diffusion d’archives gĂ©nĂ©alogiques anciennes.
Notrefamille.com s’est alors tournée vers la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Cette autorité administrative indépendante confirme la décision de rejet par l’administration.
La CADA s’appuie sur la qualification de service culturel des services locaux d’archives. Cette exception culturelle bloque les initiatives privées qui souhaitent contribuer à la diffusion d’informations publiques, au motif que celles-ci sont détenues par des établissements culturels. La société saisit donc le juge administratif afin d’obtenir les archives.
En première instance, le département soutient pour sa part que sa décision de rejet était légalement justifiée. La collectivité avance notamment que le transfert de données, vers Madagascar, ne pouvait garantir la sécurité et la confidentialité des informations.
En outre, ce pays figure sur la liste des Etats vers lesquels on ne peut transférer des données sans autorisation de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL), en vertu de l’article 68 de la loi du 6 janvier 1978. En l’occurrence, l’autorisation de la CNIL n’a pas été obtenue. De plus, l’autorité détentrice n’était pas en mesure de les rendre anonymes. Enfin, les personnes intéressées n’avaient pas consenti à leur divulgation.
Première instance favorable au rĂ©utilisateur – Au grand dam de la collectivitĂ©, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulĂ© la dĂ©cision de la collectivitĂ© et a enjoint le conseil gĂ©nĂ©ral de procĂ©der Ă la communication de ces informations dans un jugement en date du 13 juillet 2011. Le prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral, reprĂ©sentant le dĂ©partement, interjette immĂ©diatement appel.
Dans son arrêt, la Cour administrative d’appel juge tout d’abord qu’il résulte des articles 10 et 13 de la loi du 17 juillet 1978 et de l’article 34 de la loi du 6 janvier 1978 que « les informations publiques communicables de plein droit, figurant dans les documents détenus par les services d’archives publics, qui constituent des services culturels au sens des dispositions de l’article 11 de la loi du 17 juillet 1978, relèvent de la liberté de réutilisation consacrée de façon générale par cette loi, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 29 avril 2009 ».
C’est donc sans ambiguïté que le juge administratif rappelle que rien ne peut juridiquement s’opposer à une demande de réutilisation des informations publiques contenues dans les actes détenues et conservées par les archives départementales, dès lors que le réutilisateur agit conformément à la loi « Informatique et libertés », autrement dit, dès lors que la Commission nationale informatique et libertés lui en a donné l’autorisation. Est ainsi tranché le débat portant sur la soi-disant exception culturelle qui a pu, à tort, ouvrir un régime dérogatoire pour les services publics d’archives.
Pouvoir de contrĂ´le sur les conditions de la rĂ©utilisation – Toutefois, les magistrats lyonnais considèrent qu’il « appartient Ă l’autoritĂ© compĂ©tente, saisie d’une demande de rĂ©utilisation de ces documents, de s’assurer que cette rĂ©utilisation satisfait aux exigences qu’imposent les dispositions de la loi qui, s’agissant d’informations publiques comportant des donnĂ©es Ă caractère personnel, renvoient aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. La demande de la sociĂ©tĂ© Notrefamille.com portant sur la rĂ©utilisation d’informations publiques comportant des donnĂ©es Ă caractère personnel, le dĂ©partement du Cantal n’était pas tenu de satisfaire cette demande. Dès lors, il pouvait lĂ©galement lui opposer un refus fondĂ© sur le non-respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 ».
Cette seconde partie de la décision est particulièrement intéressante en ce qu’elle laisse la possibilité aux collectivités de refuser une demande de réutilisation, dès lors que l’autorisation de la CNIL n’est pas apportée. En l’espèce, cette autorisation a été apportée trop tardivement.
Les juges d’appel, statuant en faveur du département du Cantal, ont donc annulé le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand.
Un soulagement pour les services d’archives publiques des dĂ©partements, auxquels un pouvoir d’apprĂ©ciation est ainsi expressĂ©ment reconnu. Cette jurisprudence inĂ©dite a d’autant plus d’importance que, comme l’a rappelĂ© le rapporteur public Ă l’occasion de l’audience du 12 juin dernier, le juge d’appel lyonnais avaient Ă©tĂ© dĂ©signĂ©s comme juridiction pilote sur ce contentieux qui concernent actuellement plusieurs tribunaux administratifs saisis de la mĂŞme question.
Reste à Notrefamille.com la possibilité de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat.
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