«Depuis 2003, nous avons fait du chemin, mais le combat contre la dictature du PIB continue », lance, enthousiaste, Myriam Cau, deuxième vice-présidente du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais chargée du développement durable, de la démocratie participative et de l’évaluation. En 2003, la région était la toute première de France à transposer, à l’échelle de son territoire, les indicateurs de développement humain, jusque-là réservés aux niveaux national et international.
Objectifs de ce programme intitulé « indicateurs 21 » : obtenir une photographie plus globale des réalités territoriales, afin d’aider à la décision pour mieux penser les orientations politiques et fixer les objectifs à atteindre en termes de développement régional.
Trouver des boussoles – Près de dix ans plus tard, cette collectivité pionnière peut s’enorgueillir d’avoir mené les autres conseils régionaux dans son sillage. Myriam Cau vient ainsi de présider un groupe de travail au sein de l’Association des régions de France (ARF) sur les indicateurs de développement durable, afin de « mutualiser les expériences pour doter les vingt-deux régions de baromètres communs. L’occasion également de se positionner politiquement afin que les acteurs économiques prennent enfin en considération d’autres indicateurs que le seul PIB ».
Autant d’indicateurs qui permettront une comparaison entre les régions. « Sinon, remarque la vice-présidente, c’est la tour de Babel, impossible de parler un langage commun ! »
Autre avantage : favoriser une redistribution plus équitable, notamment des dotations de péréquation. Ce qui n’empêchera pas les régions qui le souhaitent d’organiser des débats citoyens autour de la question « qu’est ce qui compte le plus pour vous ? »
Précision de Myriam Cau : « Nous sommes bien conscients, pour l’avoir expérimenté, que le cheminement, dans le cas des indicateurs de richesse, est tout aussi important que le résultat. Les notions de bien-être et de progrès sont si subjectives d’une personne à une autre et d’un territoire à un autre. Autrement dit, il n’y a que des vérités plurielles. »
C’est ainsi que ce groupe de travail, rassemblant les représentants des vingt-deux conseils régionaux, a recensé tous les indicateurs existants, afin de trouver des boussoles permettant de se fixer pour cap « un nouveau modèle de développement, plus soucieux des ressources naturelles et du bien-être humain ».
Trois indicateurs synthétiques, sur les cinq mis en œuvre par le Nord-Pas-de-Calais, ont tout d’abord été retenus :
- l’empreinte écologique, qui mesure la pression exercée par l’homme sur la nature ;
- l’indicateur de développement humain (IDH-2), qui croise les dimensions de santé, d’éducation et de niveau de vie du développement humain tels que défini par le programme des Nations unies pour le développement ;
- enfin, l’indicateur de santé sociale (ISS), qui résume en quelques variables l’aspect multidimensionnel de la santé sociale des régions.
Développement durable – Si l’IDH-2 et l’ISS sont aujourd’hui transposables à toutes les régions, l’empreinte écologique, en revanche, fait encore l’objet de recherches. Comme l’explique Aurélien Boutaud, environnementaliste et spécialiste des indicateurs alternatifs, qui participe à ces travaux, « son mode de calcul est très complexe et des données manquent. Par exemple, l’Insee [partenaire du projet de l’ARF] n’a pas de statistiques sur la consommation des ménages à l’échelle régionale, mais seulement à celle des zones d’études et d’aménagement du territoire [Zeat], au nombre de huit en métropole. » La bataille continue donc…
A ces trois indicateurs synthétiques, vingt-deux indicateurs de contexte de développement durable, communs aux régions, ont été ajoutés, à la suite d’un vote. Par exemple, la part de l’économie sociale et solidaire, les émissions de gaz à effet de serre ou la part de la surface dédiée à l’agriculture biologique.
Prochaine étape : que l’Etat et l’Union européenne s’emparent de ces indicateurs alternatifs. Une gageure ! « Cette question a été évoquée au Parlement européen, résume Myriam Cau, mais si l’Etat et l’UE ont accepté de mettre l’IDH-2 et l’empreinte écologique dans les indicateurs utilisés pour évaluer le contrat de projets Etat-région et les programmes européens – pour l’instant en Nord-Pas-de-Calais, ce n’est pas le cas de l’affectation des crédits pour lesquels le PIB reste le critère de référence. »
Pierre-Jean Lorens, directeur du développement durable, de la prospective et de l’évaluation au conseil régional, qui a piloté le travail de l’ARF, enfonce le clou : « Malgré la commission Stiglitz, trop de statisticiens, notamment à Eurostat, de politiques et d’institutions ne jurent encore que par le PIB. »
De multiples applications – Fidèle à son engagement, le Nord-Pas-de-Calais a organisé une conférence citoyenne sur le programme « indicateurs 21 », afin d’affiner les cinq retenus.
Un indicateur d’espérance de vie en bonne santé est donc en cours de mise au point avec l’Insee et l’observatoire régional de la santé. Les participants avaient souligné qu’il ne suffisait pas de prendre en compte l’espérance de vie dans le calcul de la richesse : « à quoi sert de vivre dix ans de plus si c’est en mauvaise santé ? »
Et, d’ici la fin 2012, un forum hybride permanent, dans lequel les citoyens auront leur place à côté d’experts, devrait être constitué, afin de « jouer les garde-fous », selon l’expression de Florence Jany-Catrice, conceptrice de l’ISS. La société civile sera ainsi au cœur de l’élaboration d’un nouvel indicateur cher à la région : l’égalité femme-homme.
Par ailleurs, depuis 2004, le conseil régional s’appuie concrètement sur les outils du programme « indicateurs 21 ». Le Nord-Pas-de-Calais a, par exemple, décliné ses indicateurs au niveau communal (IDH-4) afin d’analyser plus finement les inégalités de développement. Ce qui lui permet de répartir de façon plus équitable ses crédits, notamment dans le cadre de son programme « culture et territoires ».
Autre avancée : l’IDH-4 est utilisé comme indicateur de contexte dans le cadre de certains schémas de cohérence territoriale. De même, on observe une appropriation de ces indicateurs : le Collectif régional pour l’information et la formation des femmes utilise ainsi celui de participation des femmes à la vie politique et économique.
Myriam Cau conclut : « Les régions ont réussi à dépasser leur peur de la comparaison. C’est une énorme avancée. Il faut avouer que comme la nôtre est la dernière du classement, notamment en raison de notre lourd passé industriel, nous pouvions donner l’impulsion ! »
De nettes fluctuations
En 16e position au classement des régions françaises selon l’indicateur de santé sociale, la région Nord – Pas-de-Calais est au 22e rang dans le palmarès suivant le PIB. En 1re position pour son PIB, la région Ile-de-France recule, selon son ISS, à la 17e place.
Une révision des jugements collectifs
« Le programme indicateurs 21 a permis de réviser nos jugements collectifs. Ainsi, il n’y a pas de corrélation entre la richesse économique mesurée par le PIB et les niveaux de santé sociale », indique Florence Jany-Catrice (1), conceptrice de l’indicateur régional de santé sociale.
L’autre intérêt provient de la légitimité de ces indicateurs sociaux composites, issue de la démarche de type démocratie participative. En témoignent les critiques pertinentes des citoyens sur une question a priori technique. Le fait, par exemple, que les inégalités de genre n’aient pas assez été prises en compte.
« Le territoire est ainsi un espace légitime pour un débat citoyen parce que les habitants connaissent les enjeux propres à leur collectivité. Et qu’il n’existe pas d’indicateurs neutres », souligne Florence Jany-Catrice.
Contact
Pierre-Jean Lorens, directeur du développement durable, de la prospective et de l’évaluation, email : pierre-jean.lorens@nordpasdecalais.fr, et sur twitter
Références
Avantages
- Le programme « indicateurs 21 » offre une vision globale, rapide, accessible au plus grand nombre de la réalité régionale du Nord - Pas-de-Calais.
- Le travail mené au sein de l’ARF permet aux régions de se comparer entre elles sur la base d’indicateurs autres que le seul PIB. Autant de données faciles à calculer et à utiliser.
Inconvénients
- Ces initiatives n’ont pas (encore) mis un terme à la « dictature du PIB » dans les instances nationales et européennes.
Cet article fait partie du Dossier
Mettre fin à la « dictature du PIB » par de nouveaux indicateurs de richesse
11 / 11
Sommaire du dossier
- La loi sur les nouveaux indicateurs de richesse définitivement adoptée
- Mettre fin à la « dictature du PIB » par de nouveaux indicateurs de richesse
- « Les nouveaux indicateurs de richesse doivent redonner du sens à l’action politique »
- « Territorialiser les nouveaux indicateurs de richesse »
- Nouveaux indicateurs de richesse : dix bonnes pratiques à transposer en France
- Quatre ans après, bilan de la Commission Stiglitz en interview croisée
- Interview critique : « Le problème n’est pas la mesure elle-même, mais la synthèse dans un indicateur unique »
- Le foisonnement des baromètres : leurs avantages et leurs inconvénients
- Etats, régions et développement humain : quand les plus riches ne sont pas les mieux classés
- D’autres indicateurs de richesse au service des politiques publiques : les collectivités territoriales s’en saisissent
- Le Nord-Pas-de-Calais et les indicateurs alternatifs : 10 ans de pratique
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Economiste, professeur à l’université Lille 1, chercheuse au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques. Retour au texte