Entre compassion et distance professionnelle, le chef de service doit trouver la juste mesure : ni trop distant, ni trop familier.
Régulièrement, le juge administratif rappelle qu’un supérieur hiérarchique a comme tout agent public, un devoir de dignité et d’exemplarité et doit donc utiliser un langage « approprié » et se garder d’utiliser des propos grossiers. De manière générale, son comportement et ses propos doivent ainsi respecter les « règles élémentaires de courtoisie et de savoir-vivre » (TA Pau, 30 septembre 2009, req. n°2400585).
Aussi, ne pas saluer un agent constitue une faute du supérieur hiérarchique. Le responsable d’un service municipal qui par exemple refuse de saluer une agent placée sous son autorité ou de lui parler fait preuve d’un comportement inadéquat, impropre à ses fonctions de chef de service et de responsable hiérarchique. (CAA Toulouse 23 mai 2024 req. n°22TL21342).
Le supérieur hiérarchique qui ne fait pas preuve de compassion à l’égard des agents placés sous ses ordres commet une faute. Ainsi, le juge administratif a estimé que ne pas porter assistance à un agent qui fait un malaise au bureau, même sans gravité, constitue une faute, sans pour autant que cela caractérise une situation de harcèlement moral (CAA Paris 21 juin 2024 req. n°23PA02439).
Tutoyer ou vouvoyer ?
Tutoyer n’est pas harceler ! Même si l’agent souhaite être vouvoyé, son tutoiement par son supérieur hiérarchique ne fait pas présumer l’existence d’un harcèlement moral. Les juges de la CAA de Marseille ont ainsi indiqué que ce mode de communication ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de dégrader les conditions de travail ou de porter atteinte aux droits ou à la dignité de l’intéressée. En l’espèce, ce supérieur avait l’habitude de tutoyer indistinctement tous ses collaborateurs, ce que ne contestait d’ailleurs pas l’agent (CAA Marseille, 16 septembre 2024, req. n°23MA02824).
De plus, le fait de passer du tutoiement au vouvoiement à l’égard d’un agent ne constitue pas une forme de harcèlement moral. Une telle circonstance peut être justifiée par la volonté de l’autorité territoriale de prendre de la distance à l’égard de l’intéressé dans le cadre de sa relation hiérarchique avec celui-ci, indépendamment du ressenti du fonctionnaire concerné (TA d’Orléans, 1er juillet 2025, req. n°2301507).
Conversation privée
« Que se passe-t-il ? Rencontrez-vous des problèmes personnels qui vous empêchent de vous concentrer ? Vous sentez-vous en difficulté devant la complexité de votre tâche ? » Ces questions posées à un agent par son supérieur caractérisent-elles une situation de harcèlement moral ou s’agit-il d’interrogations légitimes sur la situation d’un agent qui commet un certain nombre d’erreurs dans l’exercice de ses fonctions ? Pour le juge administratif, le questionnement du maire quant aux éventuels soucis personnels d’un agent ne relève pas d’une immixtion dans sa vie privée mais de la seule volonté de comprendre ses difficultés à exécuter ses fonctions et n’est donc pas fautif (CAA Douai 5 août 2021 req. n°20DA00825).
Cela ne saurait constituer en principe une faute du supérieur hiérarchique. D’ailleurs, le fait qu’un agent intervienne dans la conversation privée tenue entre un collègue et leur supérieur hiérarchique dans le bureau de l’un d’entre eux, sans y être invité, et refuse de quitter ce bureau, ne constitue pas un événement soudain et violent constitutif d’un accident de service. (TA Bordeaux, 15 juillet 2025, req. n° 2400177).
Remarques sur le style vestimentaire
« Je n’aime pas ton « pull moche de Noël », je te préfère en legging! » De tels propos, pour regrettables qu’ils soient, ne sont pas nature à eux seuls à caractériser une situation de harcèlement sexuel, comme l’ont indiqué les juges du TA de Nîmes dans un jugement du 22 mai 2025.
De manière générale, l’obligation de dignité et de réserve qui s’impose aux agents publics porte également sur leur tenue vestimentaire et autorise le chef de service, verbalement ou non, à titre individuel ou dans une note de service ou un règlement intérieur, à interdire le port de tenues qui y porterait atteinte, par exemple en entachant l’image de l’administration. Les juges ont ainsi confirmé la légalité de la sanction disciplinaire infligée à un adjoint technique territorial qui régulièrement se montrait vêtu d’une simple serviette dans le local commun en présence des femmes du service (TA de Cergy-Pontoise, 6 mars 2025, req. n°2106866). Ils ont également admis que le principal d’un collège interdise à un enseignant le port du bermuda en classe devant les élèves (TA de Cayenne 3 juin 2003, req. n° 992877) dans la mesure où un enseignant au contact des élèves doit avoir un comportement exemplaire, en dépit de la localisation de l’établissement en Guyane qui aurait pu laisser penser qu’une tolérance soit possible.
« T-shirt, bermuda, sandales », ça ne passe pas ! Même oralement, un responsable hiérarchique peut demander, par exemple à l’occasion d’une réunion de service, à l’ensemble des responsables de service d’avoir une tenue vestimentaire correcte notamment en présence d’agents placés sous leurs ordres ou de personnes extérieures à la collectivité. Aussi, lorsque l’un d’eux se présente devant ses agents puis en réunion vêtu d’un tee-shirt et d’un bermuda, et chaussé de sandales, la sanction est légitime ( TA Toulouse 9 juillet 2024 req. n°2101580).
Dans ses injonctions vestimentaires ou corporelles, comme par exemple la taille de sa barbe, le responsable hiérarchique doit prendre garde à ne pas porter atteinte à la liberté de conscience de l’agent, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat. Ainsi, même fournie, une barbe ne constitue pas en tant que telle la manifestation d’une conviction religieuse, et refuser de la tailler ne porte pas atteinte en soi au principe de laïcité auquel sont tenus les agents publics (CE, 12 février 2020, req. n°418299).
Pas de contact physique, ni de remarque tendancieuses
Les contacts physiques sont régulièrement qualifiés de faute par le juge. Maintenir les mains de sa responsable pour lui avouer ses sentiments justifie par exemple le blâme infligé à l’agent (TA Grenoble 21 novembre 2025 req. n°2305151). De même, le chef d’équipe qui se permet de mettre ses mains sur les genoux, les hanches et les fesses d’une agente, à de multiples reprises, commet une faute. Pour le juge, cette privauté allait au delà de « témoignages d’affection et de sympathie ou l’expression d’un paternalisme bienveillant » qu’invoquait le supérieur hiérarchique (CE, 15 janvier 2014, req. n°362495 ; CAA Douai 28 juin 2012, req. n°11DA00971).
Mais des courriels flatteurs sur une tenue vestimentaire peuvent contribuer à établir l’existence d’un harcèlement sexuel. Aussi, des messages de plus en plus grivois, accompagnés d’une tentative de geste déplacé du supérieur sur une subordonnée caractérisent pour les juges l’existence d’une pression de caractère sexuel exercée sur un agent placé sous son autorité. Toutefois, si la situation de supériorité hiérarchique de l’intéressé a été très certainement appréhendée par la victime et a influé sur son comportement, le supérieur n’a pas tenté, quant à lui, de la mettre à profit pour en faire un instrument de pression et de contrainte. Aussi, le juge a estimé que son exclusion de deux ans était trop sévère (CAA de Versailles, 13 mars 2014, req. n°12VE03012).
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