Au moment de sa première nomination, le 8 septembre, Sébastien Lecornu avait annoncé « un grand acte de décentralisation ». Les circonstances ont changé mais le sujet demeure ; des travaux parlementaires sont d’ailleurs en cours. A ce stade, des éléments majeurs que devrait comporter tout cadre de réflexion peuvent être soulignés.
Ne pas se limiter à la redistribution de compétences
Le premier est que, si chacun pense d’abord au sujet de la redistribution de compétences, un nouvel acte de décentralisation ne peut se limiter à ce seul aspect ni d’ailleurs se centrer sur la recherche de la suppression d’un niveau, dont on sait la difficulté.
Une telle étape doit nécessairement comporter des questions comme celles des marges de manœuvre financières des collectivités locales, de la qualité du service rendu aux usagers ou de la responsabilité des acteurs publics devant les citoyens.
L’action publique ne peut non plus être pensée seulement en fonction des situations présentes. Les immenses défis d’ordre planétaire auxquels nous sommes confrontés exigent une approche territorialisée prospective et dynamique. Le choc démographique impose par exemple une approche différenciée selon la nature des territoires (par exemple zones rurales en déclin vs métropoles en forte croissance) et de même la concentration croissante de la production dans les très grandes aires urbaines. De ce fait, les organisations ne doivent plus être nécessairement uniformes. Il faut oser l’expérimentation ou la diversification, en veillant à ce qu’elles ne soient pas un facteur de complication.
Pas de « grand acte » possible non plus sans simplifier les dispositifs de dotations, reconnaître des ressources propres restituant un pouvoir fiscal réel aux collectivités et rétablissant un lien financier entre les citoyens et les collectivités.
Le développement de l’action publique locale doit être aussi conçu comme une opportunité de resserrer les liens entre les citoyens et les décideurs publics par des procédures de participation innovantes. La recherche de la confiance et de mécanismes qui la favorisent doit être à la fois un élément et un moteur de la future réforme.
Besoin d’une réforme de l’Etat
En second lieu, une relance de la décentralisation doit, pour réussir, être une nouvelle distribution des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales mais aussi une réforme de l’État qui touche l’articulation des différents niveaux de l’action publique et la cohérence interne des services de l’État.
Jusqu’ici, la décentralisation et ses aménagements ont été largement pensés en dehors de la réforme de l’État. Inversement, la réorganisation des services déconcentrés de l’État a été souvent effectuée indépendamment du développement des pouvoirs locaux. Les deux doivent être menées en même temps, en y ajoutant le recalibrage du réseau des agences et opérateurs de l’État. Et sans considérer que les politiques publiques doivent être mises en œuvre par les collectivités territoriales comme elles l’étaient par des services déconcentrés.
La délimitation des compétences entre l’État et les collectivités locales a fait l’objet de très nombreux ajustements, mais dans de nombreux domaines, l’État a conservé une partie des attributions selon des critères variables. Dans d’autres, telles que les politiques sociales, les responsabilités sont éclatées au point que plus aucun pilotage global n’est en réalité possible et que s’entremêlent une multiplicité de dispositifs et des comitologies paralysantes. L’État doit accepter de renoncer à des pouvoirs partiels qu’il s’est réservé, souvent conçus et perçus comme des actes de contrôle, et réorganiser en profondeur l’agencement des politiques publiques territorialisées.
En revanche, il doit retrouver sa capacité à donner une vision claire des grands axes de l’aménagement du territoire aujourd’hui atomisé.
Vers une redéfinition des rôles de l’État et des collectivités
De plus, inévitablement, quelques sujets fondamentaux de l’action publique devront recevoir des réponses nouvelles. Si des organisations de proximité peuvent être source d’efficacité, l’État, garant de la cohésion nationale et de la souveraineté, doit conserver des leviers, par exemple la collecte nationale de données, la péréquation entre collectivités, le financement partiel des actions locales par des mécanismes nationaux de redistribution de prélèvements fiscaux ou sociaux, un cadre de gestion de la fonction publique territoriale permettant cependant une gestion plus spécifique. Il doit aussi assurer la cohérence des rôles, par exemple entre les polices nationale et municipales.
Les missions des services territoriaux de l’État doivent être repensées. Dans plusieurs domaines, les services régionaux, les services départementaux et ceux des agences doivent être réarticulés pour que les actions des services de l’État soient exercées en cohérence avec celles des collectivités.
Plus généralement, il appartient à l’État de créer les conditions d’un développement du pouvoir local, par exemple en veillant aux incidences du droit européen et en encadrant mieux l’action des agences.
Ces évolutions offriront l’occasion d’indispensables simplifications des organisations, des normes et des procédures imposées aux collectivités et aux usagers, donc une action publique plus lisible et plus proche des usagers et des entreprises et plus efficace.
Le prochain acte de décentralisation ne sera donc pas qu’un simple aménagement technique des rapports entre l’État et les collectivités territoriales. Il doit être pensé de manière large. La réforme de l’État est une condition de la réussite d’une nouvelle distribution des pouvoirs. Réciproquement, celle-ci sera un levier pour une nouvelle étape de la réforme de l’État.
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