Après Bernard Cazeneuve, Edouard Philippe. Décidément, les Normands ont la cote lorsqu’il s’agit de s’installer à Matignon. A 46 ans, l’actuel édile du Havre devient le Premier ministre du gouvernement Macron. Une première expérience nationale d’envergure après un cheminement politique avant tout local.
Edouard Philippe, marié et père de trois enfants, s’est assis dans le fauteuil de maire en 2010, cornaqué par Antoine Rufenacht (UMP), son prédécesseur à la tête de la cité océane. « Il s’est inscrit dans la continuité », glisse Marc Migraine, actuel adjoint à l’environnement de la municipalité citant notamment « la transformation de l’entrée de ville ou encore la rénovation de la salle du Volcan ».
Si l’élu LR a emboîté le pas de son prédécesseur en matière d’aménagement, il a surtout œuvré à changer l’image de la cité maritime. En particulier par la culture et l’événementiel. « Il a lancé le festival le Goût des Autres, le LH forum ou encore la réalisation d’un palais des congrès », se félicite son adjoint.
« Il a fait du Havre une belle vitrine, pique Nathalie Nail, son opposante communiste au conseil municipal. Mais il n’a pas su changer les conditions de vie des habitants. » Selon elle, Edouard Philippe est d’abord « un bon communicant ». Ce qui pourrait lui servir pour ses nouvelles responsabilités nationales…
Autre succès à mettre à son actif, la construction d’une salle des musiques actuelles le Tetris. Un outil dont il n’a pas hésité à déléguer la gestion à une association. Une innovation territoriale pour ce type de lieu.
Elu par une ville ancrée à gauche
De fait, ce fils de professeur de français, boxeur et auteur de polars à ses heures perdues, bénéficie d’une bonne image dans le milieu culturel havrais. Et ce n’est sans doute pas un hasard s’il a été élu en 2014 dès le 1er tour. « Dans une ville ancrée à gauche, c’est une sacrée performance », relève Marc Migraine.
En matière financière, l’homme cultive l’image d’un gestionnaire avisé. « Il a su préserver des marges d’investissement en faisant doucement baisser la masse salariale de la ville », analyse son adjoint. Le tout sans énorme clash avec les organisations syndicales.
Juppéiste et modéré, l’ancien directeur des affaires publiques du groupe Areva sait manœuvrer pour arriver à ses fins. « C’est un homme de dialogue et de fermeté », pointe Marc Migraine. Malgré les oppositions en interne, il n’a pas lâché sur l’ouverture le dimanche de la nouvelle médiathèque Niemeyer.
« Ça n’a pas toujours été simple entre nous, mais c’est quelqu’un qui respecte les partenaires sociaux », confie une source syndicale locale sous couvert de l’anonymat.
Développement du territoire contrasté
En sept années de mandat havrais, l’ancien adhérent socialiste quand il était à Sciences Po, admirateur de Michel Rocard, s’est parfois cassé les dents. Notamment à propos de l’extension de la communauté d’agglomération havraise à d’autres intercommunalités limitrophes. « Il n’a pas obtenu gain de cause », concède son adjoint pointant d’abord la responsabilité de l’Etat.
Sur un sujet similaire, l’ancien directeur général de l’UMP, époque Juppé, a aussi longtemps échoué à créer un pôle métropolitain de l’estuaire. Après plusieurs refus de l’Etat, le député maire a fini par obtenir gain de cause. Ce qui traduit tout de même la détermination du personnage.
Sur les dossiers structurants pour le territoire havrais, Edouard Philippe n’a pas obtenu de succès majeurs. L’Axe Seine – le projet de Grand Paris reliant la capitale au port havrais – a peu avancé pendant son mandat de maire. Et notamment la ligne nouvelle Paris Normandie. L’élu de droite s’est aussi opposé avec vigueur au projet de canal Seine Nord, susceptible de porter préjudice au port du Havre. Sans que ce dernier, pour le moment, ne soit remis en question. Nul doute que ses partisans guetteront avec attention les décisions en provenance de Matignon sur ce sujet…
Dans le domaine économique, Edouard Philippe n’a pas non plus fait de miracle. La ville du Havre reste pauvre sur fond de désindustrialisation rampante. Seule lumière à l’horizon ? La probable installation d’usines d’éoliennes destinées à alimenter les champs offshore prévus pour sortir de mer en Normandie dans les prochaines années. Proche d’Anne Lauvergeon, Edouard Philippe a su faire jouer son carnet d’adresses pour attirer Areva – à l’origine du projet – sur les quais havrais.
Parlementaire ouvert
En tant que parlementaire, le député de la 7eme circonscription ne s’est pas signalé par un activisme forcené, selon le décompte opéré par l’association Regard citoyen. Lorsqu’Edouard Philippe monte à Paris, c’est d’abord pour animer et coordonner le courant juppéiste. « Ma seule référence en politique », glissait-il en 2011 lors d’un entretien organisé dans ses bureaux havrais.
Les deux hommes ont travaillé côte à côte à la création puis la direction de l’UMP entre 2002 et 2004. Deux années où le jeune Edouard Philippe a pris « des coups et s’est forgé une expérience ». Récemment, il s’est particulièrement démené pour son mentor pendant la primaire de la droite et du centre organisée à l’automne 2016. Avec l’infortune que chacun connaît…
Si l’élu était peu présent au palais Bourbon, il s’est cependant singularisé à l’occasion de plusieurs votes emblématiques du quinquennat Hollande. Il s’est ainsi abstenu sur le texte prévoyant le mariage pour tous quand, dans le même temps, beaucoup de ses homologues de droite se prononçaient contre. « Je suis assez coulant sur les sujets sociétaux », lançait-il en 2011.
Autre fait marquant : il a voté pour la réforme socialiste instituant la fusion des régions. A sa manière, Edouard Philippe est un insoumis. « Je m’entends très bien avec certains élus PS », confiait-il en 2011. Comme un avant-goût de son débauchage par Emmanuel Macron et de sa volonté de dépasser l’opposition traditionnelle gauche droite.
Beau parleur, doté d’un sens de l’humour aiguisé, le nouveau Premier ministre de la France n’a jamais donné dans le suivisme politique. Plus que tout, il chérit sa liberté de ton et d’action. Loin des qualités requises, d’habitude, pour s’installer dans le fauteuil de Matignon…
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