Derrière l’allure lisse et sérieuse du préfet se cache une autre facette du personnage : délégué général de Régions de France depuis février, Frédéric Potier, 45 ans, est, à la ville, écrivain. Son nouvel opus, « La Taupe de l’Elysée », un « roman politico-historique », sort le 14 mai (éd. de l’Aube). En trois ans, il a publié deux polars, dont l’un récompensé du prix de littérature politique Edgar-Faure en 2022, et un ouvrage mêlant essai et fiction, « Jaurès en duel » (éd. Le bord de l’eau, 2024). « Un registre peu courant, créatif, aux vertus pédagogiques », loue le directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès, Jérémie Peltier. Tandis qu’Isabelle Lacroze, l’attachée de presse des éditions de l’Aube, s’enthousiasme pour un auteur qui « rend son lecteur plus intelligent ».
Au cœur du réacteur
Lire Frédéric Potier, c’est s’adonner au jeu de pistes – il préfère le terme « labyrinthe ». Ses intrigues se nourrissent de sa fréquentation des coulisses du pouvoir. Le « point fort » de tel ministre, écrit-il, est de « parler de tout et de rien à la fois. Pas une anguille, mais plutôt un caméléon, adoptant la couleur des penchants de son électorat, du rouge vif au vert de chrome, en passant par le rose pâle et le bleu nuit ».
Il exerce aussi sa plume dans « La République des Pyrénées », pour une chronique bimensuelle, dont celle de mars était consacrée au Salon de l’agriculture, ce lieu qui « aimante des personnalités de tous les partis », à commencer par les présidents de la République. « La pertinence d’une politique agricole se mesure-t-elle au nombre de bières enquillées sur les stands ? » s’y interroge-t-il.
Né à Pau (Pyrénées-Atlantiques) dans une famille « “Télérama”- France Inter », entendre par là un milieu aisé « de gauche », passionné d’histoire, de relations internationales et d’économie, il intègre « naturellement Sciences-po Bordeaux, puis l’ENA, promotion Simone-Veil. Une grande dame, pro-Europe, humaniste, sensible aux droits de la personne, qui correspondait à l’ADN politique » de notre groupe, commente-t-il. Du ministère de l’Outre-mer, il passe à l’Intérieur, intègre le cabinet du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, puis Matignon aux côtés de Manuel Valls.
Il y vit, au cœur du réacteur, les attentats de « Charlie Hebdo » et du Bataclan en 2015, de Nice l’année suivante. Des moments de « sidération ». Il se souvient « de Marseillaise chantées a cappella sous la pluie, de minutes de silence, la moitié de l’assistance en pleurs ».
Nommé, à la fin du quinquennat Hollande, à la tête de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, Frédéric Potier est confirmé par l’exécutif suivant. Une mission « passionnante », sur des thèmes « politiquement et médiatiquement sensibles, touchant aux discriminations, préjugés, stéréotypes, représentations ».
Défenseur de la laïcité
Un poste qu’il quitte en 2021 pour rejoindre la RATP, où son champ d’action couvre jusqu’aux questions de laïcité, sujet qui le préoccupe. Dans une note rédigée en 2024 pour la Fondation Jean-Jaurès, il plaide pour la création d’un Défenseur de la laïcité, à l’image du Défenseur des droits.
Convaincu que la neutralité « protège », fermement opposé aux « accommodements raisonnables » et à l’essentialisation, il déplore la « saturation de l’espace public de considérations culturelles, identitaires ou religieuses », et prône l’interdiction du port du voile dans les compétitions sportives. « Tout le génie du sport réside dans l’abolition des différences, au service du plaisir et de la beauté du jeu », explicite-t-il. En précisant, dans la foulée, qu’il s’agit là d’une « opinion strictement personnelle, qui n’engage évidemment pas Régions de France ».
Car Frédéric Potier est conscient du « devoir de réserve » auquel l’astreignent ses nouvelles fonctions dans une association « transpartisane », dont il vante la « diversité ». Il conçoit son rôle comme celui d’un « assemblier » chargé de « faire entendre la voix des régions en leur donnant de la visibilité, dans les ministères et au Parlement à Paris, auprès des institutions européennes à Bruxelles et dans d’autres instances ».
Tour de France
Le grand serviteur de l’Etat met son expérience au service de collectivités, entreprenant notamment un tour de France pour rencontrer ses « collègues directeurs généraux ». Les dossiers ne manquent pas : réindustrialisation, aéronautique, viticulture, défense ou recherche… Il portera un regard appuyé sur ceux concernant l’outre-mer.
Se revendiquant d’une gauche mendésiste, Frédéric Potier croit en la « force du dialogue, de la pondération et du compromis ». Il juge les « œillères idéologiques extrêmement dangereuses » et s’inquiète d’une « brutalisation » du discours public. Vouant une « profonde admiration » aux élus locaux, dont la disponibilité doit être « permanente », il n’envisage pas de briguer un jour un mandat électif. Contrairement à sa mère et à l’une de ses grands-mères, qui furent conseillères municipales dans des villages.
Soucieux de préserver sa vie privée, il passe « autant de temps que possible » avec sa femme et leurs deux enfants, et cuisine avec sa fille… Marianne. Un prénom qui symbolise « l’allégorie de la République, une République généreuse, exigeante, à la fois nourricière et en armes. C’est donc tout sauf un hasard si elle s’appelle ainsi », confie-t-il.
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