Images chocs, enquête de plusieurs mois, témoignages de salariés : la méthode de l’association L214 (association à but non lucratif de défense des animaux utilisés comme ressources alimentaires, fondée en 2008.) pour dénoncer la maltraitance animale dans les abattoirs est toujours la même, percutante et implacable. Elle l’a encore prouvé le 30 janvier à Saint-Romain-de-Popey (1 700 hab., Rhône), au cœur du Beaujolais.
Les vidéos réalisées entre octobre 2024 et janvier 2025 sont insoutenables : des vaches se débattent au moment d’être tuées, des cochons reçoivent des décharges d’aiguillon électrique dans les yeux, des moutons tentent de s’enfuir… Le tout, sous le regard passif d’inspecteurs-vétérinaires de la direction départementale de la protection des populations, qui dépend de la préfecture. Or, cet abattoir a la particularité d’être un établissement public appartenant à la communauté d’agglomération de l’ouest Rhodanien (31 communes, 50 500 hab.).
Demi-mesure
Après un long silence, cette dernière a annoncé, le 10 février, avoir commandé une mission d’audit au cabinet spécialisé Poleis. La préfecture a diligenté deux inspections, qui ont abouti à l’arrêt temporaire de l’abattage des cochons. « On ne comprend pas pourquoi cette demi-mesure a été prise alors que les vidéos montrent aussi des actes de maltraitance sur les bovins. C’est tout l’abattoir qu’il faut fermer », commente Bérénice Riaux, de L214.
L’association a déposé un recours en responsabilité contre l’Etat auprès du tribunal administratif de Lyon et porté plainte contre l’abattoir auprès de la procureure de Villefranche-sur-Saône, qui a ouvert une enquête. La préfecture rejette toute faute éventuelle sur l’exploitant. Quant à la centrale d’achat des Mousquetaires (Intermarché), elle a décidé de ne plus se fournir auprès de cet abattoir, qui emploie une quinzaine de salariés et travaille avec 300 éleveurs.
D’autres abattoirs publics ont été mis en cause ces derniers mois par L214. En Savoie, celui de Saint-Etienne-de-Cuines (1 200 hab.), qui appartient au syndicat du pays de Maurienne, a été fermé temporairement par arrêté préfectoral le 14 novembre 2024, jour de la diffusion des images de L214. Début 2024, c’est l’abattoir municipal de Craon (4 400 hab., Mayenne) qui a fait l’objet de révélations. Fin 2023, l’Etat a été condamné pour avoir mal contrôlé l’abattoir municipal de Mauléon-Licharre (3 000 hab., Pyrénées-Atlantiques), dénoncé pour maltraitances en 2015.
Pourtant, les établissements publics traitent à peine 10 % de l’abattage français. « Il peut y avoir de la maltraitance dans tous les abattoirs, privés comme publics », précise Estelle Mollaret, vétérinaire responsable des audits en abattoirs de l’association OABA (œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs). En revanche, la maltraitance est beaucoup plus fréquente dans un abattoir multiespèce que monoespèce. « Traiter plusieurs espèces, cela demande plus de matériel, mais aussi des personnels plus qualifiés, car l’approche est différente selon les animaux », précise-t-elle.
Demande d’audit général
Il est difficile de dresser un état des lieux précis, car aucune donnée publique n’existe. L214 et OABA souhaitent faire réaliser un audit général des abattoirs par le ministère de l’Agriculture. Le dernier en date a été effectué en 2016, sous le ministère de Stéphane le Foll.
« Cela pourrait avoir un aspect positif, en soulignant les efforts accomplis ces dernières années, comme la présence de caméras dans de nombreux abattoirs », souligne Estelle Mollaret. Mais aucun projet de cette envergure ne figure dans l’agenda de l’actuelle ministre de l’Agriculture, Annie Genevard.
Un secteur en crise
L’un des éléments expliquant le nombre élevé d’actes de maltraitances dans les abattoirs est d’ordre économique. La bonne qualité du matériel et la formation du personnel demandent en effet des investissements. Or, malgré le plan d’action « Stratégie abattoirs » lancé en 2023 par le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, les quelque 230 abattoirs de boucherie (où l’on tue principalement vaches, cochons et moutons) ne se portent pas bien. « On ferme un abattoir par mois », déplorait, le 15 novembre 2024, Yves Fantou, président du syndicat Culture viande, lors du congrès national de l’organisation, qui fédère plus de 300 entreprises de la filière.
Selon les professionnels, les causes de cette crise sont multiples : baisse du cheptel de vaches allaitantes, hausse du prix des gros bovins de près de 30 % en 2022, flambée du coût de l’électricité et sous-capitalisation. Un rapport de la Cour des comptes de 2020 soulignait en particulier le cas des abattoirs publics, « souvent surdimensionnés et sous-exploités ».
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