En 1966, Jacques Lanzmann et Jacques Dutronc co-écrivaient la chanson « Et moi, et moi et moi », une manière d’évoquer l’individualisme voire le nombrilisme ordinaire, lancinant, faisant partie intégrante de notre humanité. Les chercheurs, sociologues, psychologues du développement de l’enfant ont travaillé sur le concept d’enfant roi, enfant gâté et doté d’un sentiment excessif d’importance, « De l’enfant roi à l’enfant tyran » (Didier Pleux).
Les sciences de gestion, elles, portent la responsabilité du client roi. En 1996, Jean-Jacques Lambin, dans son ouvrage « Marketing stratégique », introduit la notion de « souveraineté de l’acheteur » pour décrire la suprématie du consommateur et de sa satisfaction. Pour les historiens, le Roi citoyen est incarné par Louis Philippe 1er, mais l’appellation « citoyen roi » reste entière et est posée ici.
Il s’agira donc de circonscrire cette notion de citoyen roi, de mesurer les conséquences de ses attentes et comportements dans le processus de décisions politiques et dans l’action publique pour enfin se demander si des outils existent pour ramener l’intérêt général au coeur des préoccupations publiques.
Offre personnalisée pour chacun
Le citoyen roi, par son prisme individuel et égocentré, par ses propres sujets de prédilection, fait fi de l’intérêt général. Lui seul, dans sa supériorité de sachant, sait ce qui est bien (sous-entendu pour lui-même). Le citoyen roi, dont le pouvoir semble amplifié et démesuré par le buzz des réseaux sociaux, revendique, conteste, regrette, critique, fustige, rejette, impose… Bref, il expose sa frustration et son incapacité à y faire face, trait commun à tous ces « rois » : enfant, client et citoyen.
Sur son territoire, aucun domaine n’échappe à ce citoyen roi : l’alimentation, l’habitat, la mobilité, la mort, l’énergie, la consommation de l’espace, le patrimoine, la voirie et son traitement, les animations, les cirques, les entreprises, les modes d’élevages, les pratiques agricoles, les déchets, les types de commerce, la propriété… Impossible d’être exhaustif puisque le One to One est passé par là : une offre personnalisée pour chacun, unique par nature. Le « Et moi, et moi, et moi » prend ici tout son sens.
Cette avalanche d’attentes et de commandes publiques individuelles (un oxymore en fait) a des conséquences fâcheuses sur la décision politique comme par exemple la remise en cause perpétuelle des projets : énergivore en temps, finances, en moyens humains et ingénierie pouvant aller jusqu’au renoncement.
L’immobilisme, ou a minima l’attentisme, en est une variante. A l’inverse, l’impulsivité, comme réponse à l’immédiateté de celui qui gronde le plus fort, est une autre décision possible, tout comme le choix non éclairé, qu’il soit autoritaire ou démagogique ou encore « hors sol ».
La frustration du citoyen roi est une réponse émotionnelle à l’opposition ressentie. Deux issues sont alors à travailler face à sa réaction despotique : celle qui entend l’émotion et celle qui traite la contestation. Pour recentrer le citoyen roi sur l’intérêt général (si ce fondement a encore un sens), rien de mieux que de le ramener à une certaine rationalité : fournir de l’information, faire preuve de pédagogie, favoriser l’hétérogénéité et le faire savoir, apporter des limites, se confronter, affronter le réel circonstancié, agir avec bon sens et en responsabilité.
Parce que le citoyen roi surréagit, surinterprète, surcommunique, surestime, surstimule, surinvestit et surjoue, les élus doivent être formés et avoir le courage politique pour ne pas renoncer. En responsabilité, dans nos valeurs républicaines, il est indispensable d’entendre la contestation et la frustration du citoyen roi, mais sans les surévaluer au regard de sa représentativité parmi l’ensemble des citoyens dont la majorité dite silencieuse fait partie.
En somme, ne pas perdre la vue d’ensemble est une manière de répondre à la démocratie et de se mettre au service de l’intérêt général. N’en déplaise à l’intransigeant citoyen roi !
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