Ayant reçu l’assentiment du Président de la République, du Ministre des Transports et de nombreux élus locaux, ce « Pass rail » s’inspire de ce qui se fait ailleurs, au Portugal, en Autriche ou encore en Allemagne. Outre-Rhin, les pouvoirs publics ont lancé au printemps la mise en service du « Deutschlandticket », un abonnement mensuel unique à 49 euros offrant la possibilité aux usagers d’emprunter, sur tout le territoire fédéral et de façon illimitée, bus, tramways, métros et trains (à l’exception notable des ICE, les « TGV » allemands). Une initiative fédérale, financée pour moitié par les Länder (l’équivalent de nos régions), qui a pour double objectif de lutter contre l’augmentation du coût de la vie et d’inciter les Allemands à moins utiliser leur voiture.
Des premiers résultats contrastés
Au vu du contexte social et économique difficile que nous connaissons en cette rentrée 2023, la mesure est séduisante et ne manque pas d’enchanter certains, à commencer par les jeunes, les étudiants, les familles précaires. Mais c’est en réalité une fausse bonne idée. Voici pourquoi.
Tout d’abord parce qu’en Allemagne, les premiers résultats sont déjà contrastés. Malgré le gain de pouvoir d’achat des usagers actuels et les hausses de fréquentation des réseaux, les automobilistes allemands n’ont pas pour autant abandonné leur véhicule pour prendre plus souvent le métro ou le bus en semaine. Par ailleurs les trains étaient si pleins pendant les vacances scolaires ou les week-ends que cela a entrainé des retards. Rappelons qu’en France, l’aller-retour entre le domicile et le travail prend en moyenne 50 minutes. De plus, 74 % des actifs en emploi utilisent une voiture pour effectuer leur trajet domicile-travail, contre 11 % qui choisissent les transports en commun (chiffres communiqués par la DARES dans une publication sur le sujet en 2015).
Par ailleurs, la pertinence économique d’une telle mesure en France questionne. Outre une efficacité qui reste à démontrer, elle pourrait finalement se révéler très coûteuse. Déjà en proie à d’énormes difficultés, en particulier depuis la crise sanitaire, l’équation financière des réseaux de transports français souffre de manière structurelle de retards dans les investissements, d’une augmentation des charges d’exploitation et d’une érosion des recettes liées aux contributions des usagers qui ne couvrent aujourd’hui que 20 % des coûts. Dans ce contexte, rendre les transports moins chers, pour l’usager, risquerait à terme de mettre en péril la viabilité de ces réseaux et des gestionnaires, publics et/ou privés, qui les pilotent.
Si, en Allemagne, les transports sont financés par les Länder, dans notre pays ils sont à la charge de collectivités d’échelons différents, plus ou moins anciennes au gré des différentes lois de décentralisation. Dans notre organisation territoriale, les collectivités ont surtout été l’objet de transferts de charges de la part de l’Etat et ne peuvent donc compter que sur des leviers fiscaux limités. C’est d’ailleurs dans ce contexte que le débat prend corps autour d’un possible déplafonnement du taux du versement mobilité pour créer un effet de levier tout comme la mobilisation d’autres fiscalités.
Sur cette question, une étape importante a été franchie avec la décision gouvernementale d’autoriser, dans le cadre de la discussion du budget 2024, la région Ile-de-France à déplafonner le taux du versement pour financer les investissements à venir. Décision qui fait à la fois bondir les élus issus des territoires, qui crient à l’injustice, et les entreprises qui crient au matraquage fiscal. Si la question est légitime, elle ne doit pas masquer le fait que, compte tenu du choc d’investissement nécessaire, un engagement financier de l’Etat est plus qu’indispensable et devra s’élever en dizaines de milliards d’euros par an. Dans ce contexte, les annonces de la Première Ministre au sujet d’un grand plan d’investissement de 1000 milliards d’euros d’ici 2040 pour le ferroviaire ont suscité un espoir qu’il convient de ne pas décevoir avec des précisions qui tardent quelque peu.
La question cruciale du maillage
Enfin, cette fausse bonne idée du « Pass rail » repose sur un fantasme : croire et faire croire que rendre les transports en commun moins chers va inciter les automobilises à délaisser leur(s) voiture(s) pour effectuer par exemple leurs trajets du quotidien. En fait, c’est la démarche inverse qui est pertinente : faire en sorte que les offres de mobilités alternatives à la voiture donnent envie de la laisser au garage, puis, dans un second temps, traiter la question des tarifs des abonnements et des titres de transport. Et ce n’est pas la plus mince des affaires car les chantiers sont nombreux et exigent beaucoup de moyens. A l’image des autres services publics, nos réseaux de transports en commun sont de très bonne qualité. Seulement, pour faire face aux défis qui nous attendent, il faut aller encore plus loin.
Démontrer aux automobilistes qu’ils ont intérêt à prendre les transports en commun en semaine passe par la poursuite de l’admirable travail de fond engagé par les gestionnaires des réseaux en matière de gain de temps, de praticité des solutions, de qualité de service, d’entretien des infrastructures, de confort et d’accessibilité des matériels utilisés.
La question du maillage est également cruciale. Si un territoire, qu’il soit urbain ou rural, est peu ou mal desservi en matière de transports en commun, que les utiliser allonge considérablement le temps de parcours domicile-travail, l’évolution des tarifs ne fera pas évoluer les comportements. Dès lors, favoriser l’intermodalité et la multimodalité des modes de déplacement autour d’un maximum de trois correspondances pour chaque trajet est la clé.
C’est pourquoi les transports ferroviaires doivent par exemple faire l’objet d’une attention toute particulière des pouvoirs publics. Même si les contours restent encore à définir, les récentes annonces gouvernementales au sujet d’un grand plan de développement du ferroviaire d’ici à 2040 vont dans le bon sens, à condition de mettre la priorité sur les liaisons locales utilisées pour les trajets du quotidien.
Pour toutes ces raisons, la mise en place d’un abonnement de transports à tarif unique ne semble pas être une mesure pertinente au regard des enjeux. D’ailleurs, les régions, par exemple, ont plutôt choisi l’option de tarifs spécifiques pour des catégories de population ciblées ou pendant une période déterminée. A noter aussi le choix par Montpellier Métropole Méditerranée d’opter pour un réseau de transports non facturé aux usagers.
Face aux défis liés à la réduction des émissions de carbone dans le cadre de nos déplacements, la réflexion doit, par ailleurs, être plus large que la simple question de l’évolution des solutions de transports en commun. La question des modes de garde des jeunes enfants, celle de la proximité des établissements scolaires et de formation et des autres équipements publics et privés sont aussi des facteurs qui ont leur importance. Ce sont de nouvelles réponses en termes d’aménagement des territoires qu’il convient d’élaborer à partir de projets locaux et en lien avec les exécutifs, les opérateurs, les entreprises et les acteurs de terrain. Du travail en perspective dans le cadre par exemple des COP régionales lancées par Élisabeth Borne lors du Congrès des Régions de France qui s’est tenu le mois dernier à Saint-Malo.
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