Mesdames, Messieurs les présidents des Conseils départementaux,
Vous faites partie des 18 territoires retenus par le gouvernement pour tester « l’accompagnement rénové » des allocataires du RSA et l’expérimentation qui a été officiellement lancée le 1er janvier dernier.
Face au flou qui continue d’entourer la mise en œuvre de cette expérimentation et forts de nos expériences et de nos engagements avec les personnes les plus précaires, nous souhaitons vous expliquer les raisons de notre inquiétude quant à la conditionnalité du RSA.
Avec cette expérimentation, le gouvernement dit vouloir « mieux » accompagner les allocataires.
Nous ne pouvons que saluer une telle ambition puisque l’accompagnement reste le parent pauvre du soutien aux plus modestes. Mais accompagner n’est pas conditionner. D’autant que le versement du RSA est aujourd’hui déjà soumis à la signature, par l’allocataire, d’un contrat d’engagement fixant ses droits et devoirs, le non-respect de ce contrat entraînant des sanctions : avertissement, constat de non-respect des obligations, suspension de l’allocation, voire radiation.
Résultat : si certains allocataires acceptent les termes du contrat d’engagement et rejoignent des dispositifs d’insertion ne correspondant pas toujours à leurs projets de vie, ni à des débouchés réalistes sur le marché de l’emploi, un tiers des personnes éligibles préfèrent tout bonnement renoncer à leurs droits. Car, à un parcours semé d’embûches et de ruptures de droits, qui empêchent de se libérer de la peur du lendemain, s’ajoutent trop souvent la suspicion de fraude permanente, les procédures inquisitrices et blessantes.
Institutionnaliser davantage le conditionnement et les sanctions, c’est accroître cette insécurité et cette inquiétude, intenables au quotidien pour réellement s’en sortir. C’est nourrir la maltraitance institutionnelle qui pousse vers le non-recours aux droits et l’extrême pauvreté. C’est enfin oublier les obligations de l’État et des pouvoirs publics en matière de protection et de respect des droits fondamentaux.
Oui, il y a un véritable enjeu à construire un accompagnement de qualité. Mais, nous croyons profondément à l’accompagnement quand il est fondé sur la confiance, la reconnaissance des talents et des ressources des personnes, et non pas sur la contrainte et la peur. Les personnes qui vivent avec le RSA ont besoin d’un accompagnement qui respecte leur cheminement et leur projet et qui s’inscrit dans une cohérence entre les différents services qu’ils rencontrent (CAF, Département, Pôle Emploi).
C’est pour cela que nous plaidons pour que les dispositifs d’accompagnement soient, certes « rénovés » et renforcés, mais aussi dissociés du versement de l’allocation : le RSA devrait être un socle incompressible et inaliénable !
Au-delà de la conditionnalité, notre inquiétude porte sur le principe et la nature des 15 à 20h hebdomadaires d’activité voulues dans cette expérimentation et aux sanctions qui seraient éventuellement imposées en cas de non-suivi de la nouvelle réglementation. Un premier référentiel d’activité a été présenté dans le cadre de la nouvelle configuration de France Travail. Il est, peu ou prou, fixé sur celui qui a été utilisé pour le Contrat Engagement Jeune. Or, ce dispositif n’a pas été évalué de manière exhaustive et le rapport d’étape du Conseil d’orientation des politiques jeunesse de décembre 2022 insiste sur les difficultés rencontrées pour atteindre ce quota d’activité hebdomadaire compte tenu des réalités de vie des personnes très précaires et des freins à l’emploi auxquels elles se heurtent.
Ce flou persistant autour du référentiel d’activité laisse par ailleurs la porte ouverte au renforcement de situations de « sous-emploi », certains territoires expérimentaux y voyant l’occasion de rapprocher les allocataires du RSA des « métiers en tension » sur leur bassin d’emploi. Les plus pauvres ne doivent pas être les variables d’ajustement du marché du travail.
Le retour à l’emploi n’est pas la voie unique vers la sortie de la pauvreté : nombre d’allocataires du RSA attendent surtout la garantie d’un accompagnement social à la mesure des enjeux actuels d’accès au logement, à l’éducation, à la santé et aux autres droits fondamentaux.
Le RSA doit garantir une sécurité de base inconditionnelle.
Nous vous remercions, mesdames, messieurs, de prendre en considération nos préoccupations issues de l’expérience de personnes concernées et de professionnels qui les accompagnent.