La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) vit ses derniers jours. Confirmée dans la version du projet de loi de finances pour 2023 adoptée en vote bloqué mercredi 19 octobre à l’Assemblée nationale, sa suppression ne faisait aucun doute tant elle est l’une des clés de voute du texte défendu par l’exécutif et particulièrement le taulier de Bercy, Bruno Le Maire.
Ligne constructive
Comme l’a rappelé le président d’Intercommunalités de France, Sébastien Martin, lors de la convention des Intercos à Bordeaux le 7 octobre, les collectivités n’ont « jamais demandé une telle mesure, tout simplement parce que les chefs d’entreprise dans nos bassins d’emploi ne nous la demandaient pas ». L’association, pour qui la CVAE représente pour ses membres tout de même 22 % de leurs recettes fiscales, se contentera de ce qu’elle a obtenu auprès du gouvernement, en vertu d’une « ligne constructive, sans méfiance ni défiance ».
La Première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé en terre girondine ce que Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales a détaillé lundi 17 octobre devant la commission des finances de l’Assemblée nationale : « La CVAE sera intégralement compensée par une part de TVA et de sa dynamique dès 2023. Celle-ci sera destinée aux territoires qui accueillent des nouvelles activités économiques selon des critères que nous allons établir de façon concertée. La compensation l’année prochaine correspondra aux sommes que l’Etat aurait dû reverser aux collectivités en 2023 au titre de la CVAE. Rien ne sera conservé par l’Etat. Il n’y aura donc pas d’année blanche pour les elles. »
Compte tenu des années de références prises – 2020 à 2023 – le solde de tout compte de CVAE versé en 2023 bénéficiera d’une rallonge de 300 à 500 millions d’euros, selon le niveau de cotisation perçue par l’Etat, qui sera reversée dans le fonds vert. Ce beau geste fera difficilement passer la pilule notamment auprès des intercos, premières bénéficiaires de la CVAE, mais surtout convaincues de l’inanité d’une telle mesure.
Cible ratée
Dans un courrier adressé à « La Gazette », Pierre-Mathieu Terrien, directeur des finances mutualisé ville de Romans, communauté d’agglomération et ville de Valence démontrait déjà son inefficacité sur le plan strictement fiscal : en modélisant la division par deux des bases CFE et des montants CVAE de 2019, il confirmait les travaux précédents de l’économiste Nadine Levratto : « Le secteur qui verra la plus forte baisse de ses impôts locaux sera celui des activités financières et des assurances : – 71 % » contre « 45 % pour l’industrie ». Selon le directeur des finances, « pour réduire l’impôt de moins de 2 milliards d’euros sur deux secteurs d’activités et notamment l’industrie, l’Etat va réduire de 5 milliards l’impôt de secteurs bien moins stratégiques » comme le commerce, le transport, l’hébergement et la restauration, secteurs peu délocalisables par nature.
Et quand bien même, les baisses d’impôts seraient significatives, la baisse de CVAE manquerait encore sa cible. « Il faut être les meilleurs sur tous les sujets, pas seulement sur la fiscalité ou le foncier, mais aussi sur le logement, les services publics car un patron sait bien qu’un salarié qui est bien chez lui sera plus productif dans son entreprise », commence Patrice Laurent, président de la communauté de communes de Lacq-Orthez.
Qualité de vie territoriale
Pierrick Tranchevent, vice-président de la communauté de communes de Mayenne communauté (33 communes, 37 000 hab., abonde : « le principal enjeu n’est pas la fiscalité mais l’attractivité d’un territoire à “réinventer” ». Dans ce territoire d’industrie, l’écueil est « d’abord d’attirer de nouveaux habitants et de les garder », développe l’élu qui a recruté un directeur de l’économie et de l’attractivité. Sa mission a d’abord été de « connaître l’ensemble des politiques publiques menées sur le territoires et l’ensemble des entreprises » pour ensuite proposer des kits de bienvenue ou des soirées pour faciliter le réseautage.
A la communauté d’agglomération Seine-Eure, on a carrément créé un service de conciergerie : « c’est un facilitateur pour trouver un emploi pour le conjoint, la place de crèche ou le logement », détaille François Charlier, vice-président de la commission aménagement du territoire. Un service similaire existe également à Cherbourg. Dans de nombreuses intercommunalités, l’objectif n’est donc pas tant d’offrir une fiscalité avantageuse qu’une « qualité de vie territoriale », selon les termes de Christophe Alaux, directeur de l’UFR Institut de management public et gouvernance Territoriale (IMPGT).
Les élus des intercos qui revendiquent être « l’autorité organisatrice du développement économique », selon la formule de Sébastien Martin, montrent ainsi, par ces actions qui peuvent être jugées bien minimes faces aux enjeux de compétition internationale, que limiter la compétitivité et l’attractivité industrielle française au seul niveau de fiscalité est non seulement une erreur complète de diagnostic de l’Etat, mais aussi que le travail tout en nuance des intercos lui demeure encore bien inconnu. Et c’est peut-être le plus préoccupant.