La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (dite “Loi ESSOC”) a introduit des dispositifs tels que le droit à l’erreur, diverses mesures de simplification administrative et, dans le cas présent l’expérimentation du « rescrit juridictionnel ».
Habituellement, le rescrit est un acte administratif qui consiste, pour l’administration, à prendre position sur la situation d’un administré et à lui donner une réponse écrite qui l’engage. L’exemple le plus connu est le rescrit fiscal.
En l’occurrence, le rescrit juridictionnel, comme son nom l’indique, consiste pour le tribunal administratif à purger les vices de forme de certains actes. Si la légalité de l’acte est contestée, le requérant ne pourra se baser que sur des vices de fond. L’intérêt était donc de sécuriser les décisions.
Le décret d’application fut publié plusieurs mois après l’adoption de la loi. Ainsi, le décret du 4 décembre 2018 apporte des éléments supplémentaires sur l’expérimentation. Les quatre tribunaux administratifs concernés sont ceux de Bordeaux, de Montreuil, de Nancy et de Montpellier.
En outre, les décisions non réglementaires pouvant être contestées, par les porteurs de projet ou l’administration, dans le cadre de cette expérimentation tiennent principalement à l’insalubrité ou à l’urbanisme. Finalement, ce décret prévoit un rapport d’évaluation du Conseil d’État, six mois avant la fin de cette expérimentation. Rapport qui n’a jamais été rendu.
Un projet initialement décrié
Les deux principaux syndicats qui représentent les intérêts des magistrats administratifs, l’Union syndicale des magistrats administratifs et le Syndicat de la Juridiction Administrative (SJA), sont montés au créneau contre ce projet d’expérimentation.
L’Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) contestait déjà vigoureusement le dispositif dès octobre 2018. Elle estimait que « sécuriser les décisions de l’administration est un rôle qui ne relève pas de [leur] mission de justice ». De plus, cette procédure allait « augmenter considérablement le volume contentieux ».
Par conséquent, ces associations syndicales ont formé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État contre le décret. Celui-ci, dans une décision de mai 2019, a transmis la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel qui l’a rejetée. Le Conseil d’État a finalement rejeté la requête dans une décision de mars 2020.
Une indifférence totale
C’était sans compter sur la crise sanitaire. Durant cette période, les délais de procédures administratives et juridictionnelles mais aussi les formalités ont été adaptés. Par ailleurs, les tribunaux administratifs ont connu une augmentation du nombre de recours en excès de pouvoir ou en référé liberté. L’activité économique locale a été suspendue, les chantiers interrompus, ce qui n’a pas arrangé les choses…
Un rapport d’évaluation sur cette expérimentation devait être rendu six mois avant la fin de celle-ci, soit au plus tard en juin 2021. Un « oubli » étonnant sachant que l’expérimentation figurait bien à l’annexe de l’étude « Améliorer et développer les expérimentations pour des politiques publiques plus efficaces et innovantes » publiée en octobre 2019.
Quelle leçon en tirer ?
Les principaux syndicats des juges administratifs le confirment ouvertement, le rescrit juridictionnel n’a jamais été utilisé ni par des porteurs de projets, ni par les collectivités territoriales.
Le SJA, par la voix de sa présidente Maguy Fullana, « n’a pas [eu] de retour sur la mise en œuvre effective d’une demande de rescrit dans une juridiction ». Effectivement, le SJA confirme à la Gazette des communes que « les craintes [qu’ils avaient] ne se sont pas avérées puisque cette procédure [à leur connaissance] n’a pas été utilisée ». Le syndicat confirme l’absence de rapport du Conseil d’Etat, et se réjouit que cette « expérimentation blanche » soit abandonnée en l’état.
Quant à l’USMA, son président, Emmanuel Laforêt, explique l’absence d’utilisation du rescrit juridictionnel par « l’indifférence qui règne sur le sujet ». Ce dernier ajoute que « cela prouve néanmoins que la réforme n’avait pas été pensée et ne répondait à aucun besoin ».
Contacté par La Gazette des communes, le Conseil d’État confirme qu’« il n’y a eu aucune saisie d’un juge administratif sur la période [de l’] expérimentation ».
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