Réalisant sans doute qu’une relance digne de ce nom ne pouvait pas laisser les collectivités sur le bord de la route, le Gouvernement a lancé à l’été 2020 les contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Documents globaux, intégrateurs et pluriannuels, ceux-ci étaient parés de toutes les vertus, et devaient, selon l’exécutif, offrir « une approche différenciée et simplifiée de la décentralisation ». Je plaide depuis trop longtemps pour une relance économique par nos territoires pour ne pas m’être intéressé dès le premier jour à ce nouveau dispositif. Mais j’ai vite déchanté et j’ai estimé important d’alerter aussitôt mes collègues sur les limites et même les risques que représentaient les CRTE.
« Les CRTE ne répondent pas à l’assèchement des ressources des communes »
Premier constat, et non des moindres, les CRTE ne répondent pas à la préoccupation première de nos collègues : l’assèchement de nos ressources, du fait de la suppression successive des impôts locaux, du gel des dotations et de la mise sous tutelle de l’investissement, à la main des préfets. En effet, les CRTE sont certes de jolis paquets cadeaux…à la condition de ne pas les ouvrir ! Malgré un abondement de 300 millions d’euros de la DSIL, il n’y a pour ainsi dire aucun argent frais, et les sommes annoncées se limitent donc à du recyclage de crédits déjà existants. C’est pourtant sur ce point précis que les élus attendaient l’actuel Gouvernement : comment permettre au bloc communal de jouer pleinement son rôle naturel de moteur de l’économie de proximité, au service de la relance.
Au-delà des considérations financières, pourtant indispensables à la bonne marche de nos services publics, les CRTE interrogent sur leur fonctionnement même, et la manière dont ils font évoluer l’action territoriale. Derrière l’idée de contrat, on voudrait nous faire croire à une discussion librement consentie entre deux parties sur un pied d’égalité, l’Etat et les collectivités territoriales. Or, dans la réalité il n’en est rien, c’est même tout à fait le contraire : l’Etat définit préalablement ses objectifs propres, et ce sont ensuite les Préfets de région qui décident seuls du sort réservé aux projets que leur soumettent les collectivités. C’est un renversement complet de la logique même de la décentralisation et une nouvelle atteinte à la libre administration des collectivités.
« Une volonté assumée d’écarter les communes au profit des intercommunalités »
Plus grave encore, la mise en place des CRTE signe une nouvelle preuve de la volonté assumée d’écarter les communes au profit des intercommunalités. En effet, les CRTE ne sont soumis qu’à la signature des seules structures intercommunales, qu’ils s’agissent d’EPCI ou de pays. C’est une mauvaise manière faite aux communes mais surtout aux intercommunalités, en rejouant une opposition stérile et dépassée entre communes et EPCI. Pour qu’elle soit efficace et utile à ses membres, une intercommunalité doit être l’émanation des communes qui la composent, dans une logique ascendante de mutualisation. Les CRTE, parce qu’ils ne sont pas obligatoirement signés par les communes pour des projets qui les concernent pourtant au premier chef, démarrent avec un handicap lourd. C’est d’autant moins compréhensible que des intercommunalités sont amenées à présenter des projets dont elles n’ont pas la compétence !
La CC du Pays d’Issoudun a certes été la dernière à signer un CRTE, mais j’ai estimé qu’il était indispensable de prendre le temps du dialogue et d’associer chacune des communes, qui sont toutes au final signataires du dispositif. C’était à mon sens incontournable quand il est question de prévoir en quelques semaines rien de moins que le développement du territoire pour les six prochaines années.
« Le CRTE abime le lien de confiance entre l’Etat et les collectivités »
Malgré ces griefs, le Gouvernement pourra se féliciter que le territoire est aujourd’hui couvert par des CRTE. Je m’y suis moi-même résolu. Il ne faut y voir qu’une nouvelle preuve de l’abnégation des élus locaux à défendre leur territoire et à rechercher le meilleur pour les habitants. Quand on fait face à une crise multiforme, qui placent les élus locaux en première ligne pour répondre aux besoins de nos concitoyens, il est de notre devoir de tout tenter, par-delà nos doutes et critiques. Ou comme l’aurait dit Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté »
Je n’en demeure pas moins convaincu que les CRTE, et la communication dithyrambique qui les accompagne, comportent en eux-mêmes un risque bien plus grave et durable : celui d’abimer encore un peu plus le lien de confiance pourtant nécessaire entre l’Etat et les collectivités. Faire miroiter des montants qui n’arriveront certainement jamais, promettre un outil unique qui réponde aux besoins forcément multiples de chaque territoire, annoncer des engagements pluriannuels alors que nous n’avons même pas de visibilité sur 3 mois : voilà à mon sens les faiblesses fondamentales des CRTE, dont nous mesurerons malheureusement bien vite les effets parmi nos collègues. Ce sont des graines de désillusion semées aujourd’hui et qui verront sans doute fleurir demain les mauvaises herbes de la défiance. Le printemps des libertés locales attendra !
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