L’accélération des pratiques numériques révolutionne nos modes de vie privés et professionnels, et les collectivités locales sont concernées au premier chef. On peut s’en féliciter car ces innovations apportent des gains de performance et de nouveaux usages extrêmement utiles (la crise du Covid en a été un formidable accélérateur par la mise en place massive du télétravail), mais, d’un autre côté, elles nous encouragent à changer très fréquemment d’équipements ou de logiciels, avant même que ceux-ci soient devenus réellement inutilisables.
Quelques chiffres : 88% des Français changent de téléphone portable alors que l’ancien fonctionne toujours, plus de 75% de l’impact environnemental du numérique en France se concentrerait sur la phase de fabrication des équipements, et la part du streaming vidéo dans le débit Internet descendant mondial serait d’environ 60 %.
Par ailleurs, cette inflation d’usage du numérique engendre un besoin accru en énergie, en matières premières, en eau, en transport… pour le fonctionnement des terminaux et des infrastructures – partie cachée de l’iceberg mais néanmoins ultra-énergivore (réseaux, télécoms, centres de données, etc.).
Concrètement, Selon une étude de l’Arcep de 2021, le numérique représenterait 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde – dans les mêmes ordres de grandeur que les émissions liées au trafic aérien mondial.
A la suite de cette prise de conscience assez récente, la réglementation et les politiques mises en œuvre en France ont intégré progressivement des dispositifs visant à minimiser l’impact du numérique sur l’environnement.
La loi AGEC (Anti-gaspillage et économie circulaire) de 2020 a introduit des obligations visant à une gestion plus durable de ces matériels par le réemploi, la réutilisation et le recyclage. Ce que font déjà de nombreuses collectivités (allonger la durée d’utilisation, donner une seconde vie aux équipements, etc.).
Ces mesures vertueuses soulèvent cependant des questions : offre adaptée, acceptabilité par les utilisateurs, moindre résistance aux cyberattaques, etc. ?
Dématérialisation de bout en bout, amélioration des conditions de travail des agents
Par ailleurs, n’oublions pas que le numérique s’avère être un outil formidablement efficace d’accélération de la transition écologique dans certains domaines, par exemple par la mise en place de plateformes de mise en réseau et d’échanges de services.
Sans aucun doute la réflexion doit être plus large, et introduire dans toute démarche liée au numérique des valeurs fortes gages de régulations plus naturelles : qualité de vie au travail, éthique, simplicité, partage, impact organisationnel et humain…
Et la question « quel numérique veut-on pour notre territoire ? » paraît effectivement avoir du sens, dès lors qu’elle traite le sujet selon le principe de symétrie des intentions : que veut-on pour nos usagers ? Pour nos agents ?
Trop souvent la dématérialisation des services (front office) est de façade. Mais derrière (back office), elle nécessite des ressaisies fastidieuses, des re-matérialisations, etc. Il convient donc de penser le service usager avec une dématérialisation de bout en bout, et une amélioration des conditions de travail des agents.
L’impact sur l’emploi doit être questionné. On a beau dire qu’avec le développement de l’intelligence artificielle de nouveaux métiers seront créés, à valeur ajoutée, des emplois moins qualifiés seront nécessairement détruits. Comment faire évoluer les missions des agents ? Les collectivités peuvent allouer ce temps libéré à certaines activités : contribution aux projets d’autres services, comme lors du Covid (centres de vaccination, instruction de dossiers, accueil, etc.)
L’impact du numérique sur l’environnement progresse indéniablement depuis son avènement. Il semble pertinent de lier plus systématiquement transition numérique et transition écologique, avec des directions transverses d’accompagnement aux transitions et transformations de la collectivité, comprenant aussi l’accompagnement à l’encadrement supérieur et au management plus largement.
Ce débat, à mener en interne de chaque collectivité, dépasse en réalité très largement la question du numérique, mais s’avère être une occasion supplémentaire de réintroduire la notion de valeurs, de sens et de priorités dans nos politiques publiques et activités quotidiennes.
- Quand dématérialisation rime avec marchandisation des services publics
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