Antoine Dubout, président de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)
« Toute l’ambivalence du secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) tient en un mot : diversité. C’est ce qui fait sa force, mais également sa faiblesse : permettant l’échange de bonnes pratiques et le développement de partenariats entre acteurs complémentaires, c’est aussi un espace peu lisible, et donc peu visible, ce qui freine son développement. Indéniablement, en offrant aux acteurs du secteur la possibilité d’être davantage reconnus, le projet de loi sur l’ESS est une opportunité pour pallier cette dernière lacune : plus qu’un appui, la loi est un socle, qui permettra d’opérer un changement d’échelle du secteur en le mettant en valeur et en le structurant.
Arrêtons-nous un instant sur les champs sanitaire, social et médicosocial privés non lucratifs. Représentant aujourd’hui un tiers de l’ESS en France, ils constituent le berceau du secteur, qui s’y est initialement développé pour couvrir les besoins en santé et sociaux non satisfaits des populations. Forts d’une identité ancrée dans la durée, et parce que leur mission est centrée, par nature, sur la personne et l’usager, les acteurs des champs sanitaire, social et médicosocial occupent une place particulière dans le vaste univers de l’ESS. S’il apparaît légitime que tous les acteurs de l’ESS s’y reconnaissent, filer le terme d’« entreprise » de l’économie sociale et solidaire dans le projet de loi sur l’ESS revient inexorablement à rigidifier un cadre censé rester souple. La Secrétaire d’État a évoqué la notion de « pollinisation » lors des travaux de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, pour qualifier l’influence des valeurs et principes de désintéressement absolu du privé non lucratif sur des entités de statut commercial. Effectivement, mais il faudrait aussi entendre l’appréhension très vive de la composante strictement privée non lucrative d’une « pollution d’image », qui résulterait de la confusion, dans la locution univoque « entreprises de l’économie sociale et solidaire », de valeurs et de gestions nettement différentes entre non-lucrativité absolue et lucrativité limitée ou encadrée.
Certes, l’entrepreneuriat social constitue une opportunité pour l’emploi et doit être développé en France, et oui, la loi sur l’ESS doit inviter les acteurs de l’économie classique à s’intégrer progressivement dans des démarches plus responsables et solidaires. Mais une plus grande clarté dans la désignation des différentes composantes de l’économie sociale et solidaire s’impose, avec une distinction utile et très souhaitée par le monde associatif et des fondations, entre les organismes (non lucratifs), d’une part, et les entreprises (de statut commercial, à lucrativité limitée), d’autre part, au sein de la « famille » constituée par le projet de loi sur l’ESS. »
Thierry Couvert-Leroy, directeur de l’animation de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss)
«Représentant 40 % des salariés de l’ESS en France, le secteur sanitaire et social occupe une place de premier plan. Conduits à se structurer pour faire face à une conjoncture incertaine et une réglementation de plus en plus contraignante, ces acteurs, qui quotidiennement portent une autre vision de l’entreprendre, voient aujourd’hui leur apport social, mais aussi économique, mis en lumière.
La loi sur l’ESS est avant tout une loi de reconnaissance. À ce titre, l’Uniopss ne peut que se féliciter de voir enfin prises en compte les particularités des associations de solidarité. Depuis maintenant plus d’un siècle, ces acteurs construisent en effet, pas à pas, dans la mobilisation citoyenne, des réponses d’utilité sociale pour répondre aux besoins des personnes les plus fragiles.
L’arrivée des entreprises sociales dans le champ de l’ESS risque toutefois d’entraîner une reconfiguration du secteur. L’Uniopss s’est démarquée de cette vision inclusive portée par le gouvernement et continue à dénoncer la marchandisation du secteur non lucratif de solidarité. Au lieu d’apporter des garde-fous à la dynamique de prestations de services qui s’enclenche dans l’organisation du secteur, la loi ESS semble légitimer le choix de concevoir le marché comme régulateur.
Aux associations de solidarité, cependant, de s’emparer de cette reconnaissance des valeurs de l’économie sociale et solidaire pour trouver un second souffle.
Une loi sur l’économie, fusse-t-elle sociale et solidaire, apporte des éléments pour soutenir le modèle économique des structures de l’ESS. La loi apporte aussi de nouvelles réponses pour favoriser l’hybridation des ressources financières des associations. Ces dernières ont trop souffert de la vision restrictive de la non-lucrativité, privilégiant l’équilibre des budgets sans se soucier de sa consolidation financière. La mobilisation de la Banque publique d’investissement pourrait, si elle se met effectivement en place, permettre de répondre aux besoins de financements de moyen et long termes des associations du secteur social et médicosocial pour développer leurs projets.
Le réseau Uniopss-Uriopss soutient la nécessaire articulation entre développement social et développement économique sur les territoires. L’ESS ouvre un champ plus large de coopérations ; elle invite les acteurs partageant des valeurs communes à expérimenter des projets collectifs. Espace de co-construction, le territoire permet de mieux articuler les réponses apportées aux personnes et de soutenir le dynamisme local dans la recherche de solutions pour un mieux vivre ensemble.
La loi est porteuse ainsi de développement humain durable. Un défi à relever pour les associations de solidarité. »
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