Renaud chantait qu’ « être né sous le signe de l’hexagone, ce n’est pas vraiment une sinécure ». Il semblerait en plus que les angles de cette figure géographique qu’est la France ne soient pas tous égaux. Dans une étude intitulée « Les inégalités socio-spatiales en France et en Allemagne », la fondation Jean Jaurès s’attache à démontrer que les disparités sont grandissantes sur le territoire, à renfort de cartes et de graphiques. L’un d’eux interpelle : le rapport entre les revenus moyens des plus riches et ceux des plus pauvres est passé de 6 (écart 38 000 euros par an) à 7,5 (écart de 53 000 euros) entre 1998 et 2012. Hervé Le Bras, co-auteur de l’étude, le rappelle « un mot ne remplace jamais une explication ». Avant de développer aussitôt : « la France est extraordinairement diverse. Mais selon les critères que l’on utilise, on peut voir apparaître des zones de sens, constater que l’hétérogénéité obéit à des régularités, et créer un effet mosaïque ».
Où sont les gilets jaunes ?
Parue un peu plus d’an après le début du mouvement des gilets jaunes, l’étude met en perspective la contestation avec le concept de diagonale du vide développé par Roger Brunet, qui partirait de la Meuse jusqu’au Massif central. « Il faut relativiser cette notion mais la densité de population y est plus faible, et les gens continuent de partir. Proportionnellement, les gens se sont plus revendiqués gilets jaunes dans ces départements ». Et ce, alors même que les revenus des individus ont augmenté de manière plus importante dans ces territoires ruraux éloignés des villes, comme dans le Cantal, l’Aveyron, ou encore La Mayenne.
Autre comparatif intéressant, la corrélation entre éloignement des grands centres villes, pourcentage d’immigrés et scores de Marine Le Pen aux présidentielles, où le vote RN est inversement proportionnel au nombre d’immigrés. Même chose dans les petites communes. De là à prévoir une vague d’élus municipaux RN ? Pas forcément pour Hervé Le Bras : « Les municipales sont assez défavorables au vote Marine Le Pen, les intérêts locaux entrent en jeu ».
Promouvoir les collectivités locales
Le démographe insiste d’ailleurs sur le rôle des élus locaux, insuffisant selon lui. « Les responsables locaux sont plus estimés que les responsables nationaux. Or, il y actuellement un mépris du gouvernement à l’égard de ces élus et des corps intermédiaires ». Car si l’étude rappelle que la France pratique la politique de redistribution des richesses la plus importante, son organisation très jacobine ne permet pas de combler les inégalités. Bien au contraire. « Il faut en finir avec l’égalité formelle. C’était bien sous la IIIe République » tacle le chercheur. « Etant donné que les configurations sociales sont très différentes, appliquer les mêmes règles n’est pas toujours bon. Il faut arrêter de vouloir que tout rentre dans une case, un peu comme des poupées russes ».
Si l’étude salue l’importance de la péréquation entre les collectivités, Hervé le Bras déplore les choix territoriaux faits depuis des années. « La loi NOTRe a été particulièrement nocive, la fusion des régions a été faite n’importe comment. Tout n’est pas groupé dans les capitales de régions, les coordinations sont mauvaises, et cela coûte cher ». Si on ajoute, les énormes disparités dans le déploiement d’un Internet performant – « inégalités particulièrement fortes entre France des villes et France des champs » -, combinées à la baisse des dotations, il semble illusoire de tendre vers une égalité territoriale à court terme. « La taxe d’habitation avait un sens pour les communes. Désormais s’ouvre une période d’incertitude pour elles. Elles sont à la merci de l’Etat ».
L’état fédéral allemand pas exempt de critiques
Si un état unitaire ne parvient pas à résorber les inégalités sur son territoire, une organisation fédérale peut-elle faire mieux ? Pas nécessairement pour la fondation Jean Jaurès, qui a étudié de près le cas allemand. Si les chercheurs rappellent la bonne santé économique de l’Allemagne, ils pointent assez rapidement « les disparités socio-géographiques très nettes entre le Sud et le Nord, mais surtout entre l’Ouest et l’Est ». Avant de préciser, quelques lignes plus loin : « le poids économique d’une région est encore plus déterminant pour son développement qu’il y a vingt ans ». Si la réunification a donc porté ses fruits au niveau politique, les écarts des niveaux de vie ne se sont guère estompés entre ancienne RFA et ancienne RDA. La Fondation Jean Jaurès craint d’ailleurs que les choses n’aillent pas en s’arrangeant, la péréquation horizontale entre Länder n’existant plus en vertu de la nouvelle réorganisation des relations financières Etat fédéral et Länder : « les riches restent riches, les pauvres restent pauvres ». La marginalisation de certains territoires a un effet constable, la montée du populisme de droite en réponse au « manque de confiance dans le monde politique, et les sentiments de frustration et d’incertitude qui ne cessent de croître ».
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