La suppression progressive mais définitive de la taxe d’habitation sur les résidences principales est désormais actée par la loi de finances 2020. Ceci malgré l’opposition et les craintes de nombreux élus locaux…
Opposition qui s’appuie notamment sur la rupture du lien fiscal entre les habitants et les collectivités qui leur délivrent de nombreux services publics. Des craintes ont aussi été largement alimentées par certains commentateurs annonçant le pire : les petites communes, majoritairement surcompensées, seraient en réalité perdantes, la perception du foncier bâti départemental accentuerait les inégalités, il faut s’attendre à un tsunami sur les dotations…
Le « coefficient correcteur » : un équilibre subtil
Pour y voir clair, il faut revenir à la genèse du dispositif de compensation mis en place pour les communes.
Dès que le scénario d’un remplacement de leur TH par le foncier bâti départemental s’est confirmé, les simulations ont montré que des communes seraient surcompensées, percevant plus de foncier qu’elles ne perdaient de TH et d’autres seraient sous compensées, avec moins de foncier bâti que de TH.
Pour ces dernières, la crainte était que le solde leur soit versé sous forme d’une compensation figée, selon un modèle de type « FNGIR » (utilisé lors du remplacement de la taxe professionnelle). Avec le risque de perdre à la fois la dynamique des bases de TH et le pouvoir sur le taux.
Or, le Gouvernement était lui aussi hostile à un nouveau FNGIR, mais plutôt pour éviter que les communes qui seraient prélevées, majoritairement de petites communes au niveau national, aient l’impression de voir leurs « gains » prélevés au profit de communes urbaines supposées plus riches.
Pour le Gouvernement, l’objectif était donc de rendre le jeu de vase communicant entre « perdants » et « gagnants » le plus indolore possible. D’où l’idée retenue d’un prélèvement ou plus exactement d’une compensation « à la source » qui se traduit par la mise en place d’un coefficient correcteur appliqué à la TFB départementale récupérée par chaque commune.
Ce « co-co », pour les intimes, conduit à neutraliser les écarts TH/TFB : les communes récupérant un montant de TFB supérieur à leur TH se verront appliquer un « co-co » inférieur à 1 et celles obtenant un montant de TFB moindre auront un « co-co » supérieur à 1.
La spécificité de ce mécanisme, c’est qu’en s’appliquant directement aux produits de TFB, il inclut la dynamique des bases correspondantes. Une commune dont les bases de TFB sont dynamiques verra aussi la part de produit compensée ou prélevée via le « co-co » progresser.
Pour les communes sous-compensées, le pire a donc bien été évité, puisqu’elles continueront via le « co-co » à bénéficier du dynamisme de la TFB sur un volume de ressources identique à celui de leur TH. Et elles conserveront même le pouvoir de taux sur la part de TFB « spontanée », avant application du « co-co ».
Évidemment pour fournir le surplus de TFB à ces communes, celles qui sont sur-compensées vont se voir prélever leur « gain » de TFB, prélèvement qui lui aussi suivra la dynamique de leurs bases.
Le véritable risque c’est que ce mécanisme supposé s’auto-alimenter se grippe si le dynamisme des bases des communes prélevées ne permet pas d’alimenter les communes compensées, ce qui est probable car ces dernières sont plutôt des communes urbaines aux bases dynamiques. Dans ce cas ce sera à l’État de combler le manque, ce qui vu les montants en jeu ne devrait pas durer bien longtemps…
La dynamique des bases restera payante pour les communes
Faut-il pour autant, comme certains le disent, en arriver à la conclusion que les « gagnants seront les perdants » ? Dit autrement que les communes disposant d’un « co-co » inférieur à 1, se voyant donc prélever une partie du produit de TFB reçu, sont les perdantes du système.
Et comme ces communes sont majoritairement de petites communes rurales, il n’y a qu’un pas à franchir pour en déduire que la réforme pénalise ces communes, au ressources souvent limitées, au détriment des grandes communes urbaines, plus riches.
Or l’idée que ces communes sont perdantes est une illusion d’optique, si l’on raisonne par rapport à leur situation antérieure : une commune qui percevait 100 de TH et qui recevrait 200 de TFB départementale conservera via le « co-co » 50% de cette TFB. Si le produit de cette TFB progresse et atteint par exemple 220, la commune conservera donc un produit de 110 soit une croissance de 10% par rapport à la situation initiale, tout comme elle aurait perçu la croissance de sa TH. Et elle disposera d’un pouvoir de taux sur la totalité de ce produit de TFB.
Tout au plus peut-on considérer que ces communes obtiennent un moindre gain qu’avec un prélèvement figé de type FNGIR. Mais en contrepartie, les communes sous-compensées bénéficient symétriquement d’une croissance de leur produit de TFB, sur un volume identique à leur ancienne TH, ce qui n’aurait pas été le cas avec un FNGIR.
Et ce qui est vrai pour le stock l’est également pour les flux futurs, liés à la construction de nouveaux logements : les bases supplémentaires en résultant seront bien taxées par les communes, ce qui est signal non négligeable pour les maires qui sont engagés ou prêts à s’engager dans d’importants programmes de logements.
Plus de liberté ou plus d’égalité ?
Du coup, d’autres en déduisent que la réforme va de fait accroître les inégalités en favorisant les communes à la fiscalité la plus dynamique, oubliant au passage que les écarts de dynamisme existaient déjà pour la TH.
En fait ces inégalités sont intrinsèques à une fiscalité localisée. L’autonomie fiscale revendiquée par beaucoup ne se limite pas au pouvoir sur le taux, elle repose aussi sur la dynamique propre à chaque territoire et est en ce sens forcément inégalitaire, même si cela est moins marqué pour la TH ou la TFB que pour la fiscalité professionnelle. Le remplacement de la TH par la TFB va sans doute déplacer les inégalités mais pas forcément les accroître.
Ce qui est vrai en revanche, c’est que la typologie des locaux construits va impacter cette dynamique : la TFB porte sur les locaux professionnels ce qui n’était pas le cas de la TH mais à contrario les logements sociaux bénéficient d’exonérations longues de THB alors qu’ils généraient de la TH. Cela peut être une contrainte pour les communes qui sont amenées à construire des logements sociaux, y compris celles qui mènent des opérations de rénovation urbaine, qui ne sont pas toujours les plus « riches ».
In fine, le rendement fiscal d’un programme de logements uniquement taxé au titre du foncier bâti pourra donc être moindre qu’avec la TH, d’autant que l’abattement forfaitaire de 50% sur les bases de TFB est souvent plus important que ne l’étaient les abattements sur la TH, qui étaient en partie liés à la composition du foyer fiscal.
Pour éviter ces inégalités de dynamisme la solution aurait été de remplacer la TH par de la fiscalité nationale… ce qui avait été envisagé pour les communes et a été fait pour les EPCI (et pour les Départements en contrepartie de la perte de leur TFB), qui percevront une quote-part de TVA nationale. Sans pour autant que ce mécanisme trouve non plus grâce aux yeux des détracteurs de la réforme, au nom de l’autonomie fiscale !
Pourtant dans ce cas le résultat sera bien une progression du produit identique pour tous, Métropole ou communauté de communes rurale, Département urbain riche ou rural pauvre… Selon les données de l’INSEE les recettes de TVA ont progressé de 2,8% en moyenne par an sur la période 1995-2018 (moyenne intégrant la forte baisse de 2009), ce qui donne une perspective de croissance raisonnable pour des Départements et EPCI dont la fiscalité locale était peu dynamique.
Ceci illustre bien la contradiction (d’aucun parlerait d’un compromis) du « modèle » français de financement des collectivités, qui associe la revendication de l’autonomie fiscale et celle d’une péréquation pour corriger les inégalités qui en découle. Péréquation par définition complexe mais toujours imparfaite…
L’occasion de revoir les critères de péréquation
Cette péréquation serait par ailleurs menacée par la réforme en modifiant le potentiel fiscal de chaque commune, EPCI ou Département et donc son positionnement dans les nombreux dispositifs de péréquation existant.
C’est une évidence, mais cela ne se produira que si les règles de calcul ne sont pas adaptées à temps. Or, le potentiel fiscal d’une année N est calculé avec les données fiscales de l’année N-1, donc pour une réforme fiscale appliquée en 2021 l’effet sur le potentiel fiscal n’interviendra qu’en 2022. Si l’on veut rester dans la métaphore météorologique, il faudrait plutôt faire référence au réchauffement climatique : il est avéré que sans action il y aura un problème, mais il est encore temps d’agir !
Et plutôt que se contenter d’un énième replâtrage ce serait également l’occasion d’entamer une réflexion de fond sur les critères de péréquation et en particulier le potentiel fiscal dont le fondement devient discutable à partir du moment où la fiscalité assortie d’un taux local est minoritaire, voire inexistante, dans son calcul.
Adapter sa stratégie fiscale à la nouvelle donne
Reste la question du pouvoir et du lien fiscal avec les habitants. Pour les Département, les choses sont claires : la perception d’une part de TVA nationale supprime à la fois le pouvoir sur les taux et le lien avec le territoire.
Pour les communes, et dans une moindre mesure les EPCI qui peuvent aussi percevoir de la TFB, la situation est différente puisque la TFB reste une taxe locale avec des bases localisées mais aussi le pouvoir, au moins en partie, sur le taux.
En revanche elle impose les propriétaires des locaux et non leurs occupants. Et cela change un peu la donne dans un contexte de ras-le-bol fiscal.
Car si les propriétaires ne sont pas moins hostiles que les occupants à la hausse des taux (les associations de propriétaires s’alarmant déjà des hausses passées) ils ne sont pas tous résidents dans la commune où se situe leur bien et ils ne votent pas tous… La situation des contribuables à la TFB est en effet bien plus hétérogène que celle des assujettis à la TH : locaux professionnels (propriété ou non des entreprises qui les occupent), logements détenus par des propriétaires institutionnels de logements, notamment les bailleurs sociaux, propriétaires individuels mais non occupants, qui résident souvent dans une autre commune et enfin propriétaires occupants.
Cette répartition varie sensiblement d’une commune à l’autre, mais pour certaines la part des propriétaires résidents est minoritaires. Du coup, la sensibilité à la hausse du taux de TFB n’est pas la même que pour le taux de TH, d’autant que jusqu’en 2023, la baisse des cotisations de TH se poursuivra et pourra compenser une éventuelle hausse du taux de TFB pour ces propriétaires occupants.
Il ne s’agit pas ici d’inciter au matraquage fiscal des propriétaires, mais d’anticiper l’impact du remplacement de la TH par la TFB sur les contribuables concernés et de permettre aux élus de décider d’une éventuelle hausse de taux en connaissance de cause, tant qu’ils disposent encore d’un minimum d’autonomie fiscale…
Cet article fait partie du Dossier
Grand débat sur la réforme de la fiscalité locale 2019
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Sommaire du dossier
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