Dans les années 1950, la carte de France issue de la Révolution s’est débarrassée de ses Seine et Loire dites « inférieures », rebaptisées « Seine-Maritime », pour la première, et « Loire » non pas océane mais « Atlantique », pour la seconde. Quinze ans plus tard, le vent qui avait décapité l’infériorité emportait la bassesse, avec des Alpes d’un trait élevées jusqu’à la « Haute » Provence. Il ne restait plus qu’à s’attaquer au septentrion réputé glacial et naquirent ainsi, en 1990, les Côtes de « près de la mer », si l’on en croit la traduction française du mot celtique « armor » (le modèle de 1950 ne pouvait s’appliquer, qui aurait donné des Côtes-Maritimes impossibles à situer sur le littoral français).
Décentralisation des années 1980
La géographie française se trouvant dès lors aimablement revisitée, les élus locaux se mirent à se regarder le nombril. La décentralisation des années 1980 fit naître, au côté de la vénérable Association des maires de France, une ribambelle de cousines basées sur une segmentation démographique. Les petites villes constituèrent l’Association des petites villes de France, les villes moyennes, la Fédération des maires de villes moyennes, et les grandes villes, l’Association des maires de grandes villes de France. Les élus ruraux, eux, se regroupèrent, évidemment, dans une Association des maires ruraux de France. Tout cela avait le mérite de la clarté, dès l’instant où l’on savait situer les limites : 20 000 habitants pour passer de petite ville à moyenne, 100 000 pour se déclarer enfin grande.
Le paysage, aujourd’hui, n’a plus rien à voir avec ce tableau d’une idyllique simplicité : si les petites villes semblent se satisfaire (pour l’instant) de leur dénomination, les grandes se sont rebaptisées « France Urbaine » et les moyennes, « Villes de France ». Le contraire aurait aussi bien pu se faire : Châteauroux et Beauvais peuvent autant se qualifier de zones urbaines que Strasbourg, et il ne viendrait à l’idée de personne de voir en Marseille autre chose qu’une ville. Bref, une vigilance incessante est de mise pour ne pas prêter telle position à telle association plutôt qu’à telle autre, la langue ou la plume ayant tôt fait de s’égarer entre ces dénominations un peu trop proches pour être honnêtes. Aurait-on idée de prénommer ses jumeaux Jean-Urbain et Urbain-Jean ?
La France rurale rebaptisée ?
Et voilà que s’est tenu à Nevers, en novembre dernier, un colloque titré « Sommet international de l’innovation en villes médianes » devant marquer, selon ses organisateurs, « la première collaboration internationale des villes moyennes autour du numérique et de l’innovation ». Evidemment, dira-t-on : une collectivité innovante ne pourrait pas plus souffrir qu’on la qualifie de moyenne que de basse ou d’inférieure, ce qui explique sans doute la vitesse vertigineuse à laquelle le terme de « villes médianes » s’est propagé depuis dans tous les discours officiels.
Les grandes villes s’étant, pour leur part, définitivement transformées en métropoles, le grand débat va-t-il permettre maintenant de rebaptiser la France rurale ? Le terme de « territoires » semble bien parti. Mais les paris restent ouverts.
Références
- « La Vie rêvée des maires. Sacerdoce enchanté ou enfer programmé ? », Les Editions de l'Aube, 2014.
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