Le secteur veut y croire : la loi d’orientation sur les mobilitĂ©s (LOM), que porte le gouvernement, sera « très routière » et redonnera Ă l’infrastructure son rĂ´le de maillon essentiel dans la chaĂ®ne des mobilitĂ©s. Les professionnels qui construisent la route entendent en profiter pour faire la preuve de leur modernitĂ©, de leur capacitĂ© d’adaptation et d’innovation, voire pour conforter leur lĂ©gitimitĂ© Ă construire la ville de demain. Car, comme le rappelle Guillaume Malochet, directeur du marketing stratĂ©gique du groupe Eurovia, « une ville est avant tout le croisement entre deux routes, depuis l’AntiquitĂ© ».
Qui dit route, dit dĂ©placement. A ce titre, une voie n’est plus seulement un linĂ©aire de « noir » technique dĂ©diĂ© Ă la circulation des voitures individuelles et de tout vĂ©hicule Ă Ă©nergie thermique. Elle devient aussi une infrastructure partagĂ©e, qui accueille de nouveaux usages et d’autres mobilitĂ©s. Plus doux, plus connectĂ©s, plus diversifiĂ©s, les modes de transports Ă©mergents font naĂ®tre de nouveaux besoins et attentes. Ils supposent donc un changement de paradigme dans la façon de concevoir et d’amĂ©nager la route, mettant les entreprises de construction au dĂ©fi.
La progression des voies cyclables
Un challenge Ă relever sans attendre puisque la LOM soutiendra un dĂ©veloppement accĂ©lĂ©rĂ© de ces nouvelles mobilitĂ©s. Parmi elles, et bien que pas si jeune, le vĂ©lo devrait figurer en bonne place. La plupart des grandes agglomĂ©rations favorisent dĂ©jĂ ce mode de dĂ©placement propre, afin de lutter contre la pollution et la congestion. En Ile-de-France, par exemple, le linĂ©aire de voies cyclables a progressĂ© de 60 % entre 2012 et 2015. Il s’Ă©tend sur 5 600 km, dont près de 4 000 km en petite couronne, selon l’Institut d’amĂ©nagement et d’urbanisme. Le gouvernement souhaite aller plus loin, partout en France.
Il prĂ©voit la mise en place d’un plan vĂ©lo qui pourrait ĂŞtre dotĂ© de 350 M€ par an, pour aider les collectivitĂ©s locales Ă financer des infrastructures lourdes et coĂ»teuses, telles que des passerelles pour traverser fleuves, voies ferrĂ©es et autoroutes. « Le plan nourrira de grandes ambitions, affirme, confiant, Pascal Tebibel, directeur de la prospective du groupe Colas. La route reste le support des mobilitĂ©s, mais nous devons rĂ©flĂ©chir Ă l’organisation de l’intermodalitĂ© et d’un espace oĂą tous les usagers circuleront en sĂ©curitĂ©. » Il ne s’agit plus seulement de dĂ©crocher des marchĂ©s de travaux, mais d’ĂŞtre acteurs de la transformation de l’espace urbain en amont des projets.
Point de rencontre
Autre usage en dĂ©veloppement, le covoiturage ne se traduit pas par une baisse du trafic routier. « Il est plutĂ´t gĂ©nĂ©rateur de nouveaux dĂ©placements », observe Paul Bazireau, prĂ©sident de l’entreprise nantaise Charier. Si BlaBlaCar est leader sur les trajets longue distance, de nombreuses sociĂ©tĂ©s tentent de percer sur d’autres segments. C’est le cas d’Ecov, une start-up qui dĂ©ploie des stations et des lignes de covoiturage sur six rĂ©seaux en zones pĂ©riurbaines ou rurales. « Nous rĂ©flĂ©chissons aux trajets, mais aussi aux infrastructures, commente Thomas Matagne, prĂ©sident et cofondateur de la jeune pousse. La route doit ĂŞtre un point de rencontre entre le conducteur et le passager, alors qu’elle n’est pas pensĂ©e initialement pour cela. »
Pas question d’installer une station de covoiturage au bord d’une dĂ©partementale très passante… Des prĂ©cautions sont nĂ©cessaires : le passager doit se rendre facilement au point de rencontre, et attendre son chauffeur en toute quiĂ©tude. CĂ´tĂ© conducteur, l’enjeu est d’obtenir l’information au bon moment, avec du mobilier urbain connectĂ© et des zones d’arrĂŞts sĂ©curisĂ©es. Des amĂ©nagements indispensables Ă la mise en relation entre les usagers, qui demandent juste « un peu d’investissement et de travaux », selon Thomas Matagne.
Expérimentations de routes électriques
L’Ă©lectromobilitĂ© aura aussi un impact sur la configuration de la route. D’autant que le gouvernement a dĂ©voilĂ© fin mai un plan ambitieux Ă mettre en Ĺ“uvre d’ici Ă 2022 : multiplier par cinq le nombre de vĂ©hicules Ă©lectriques en circulation pour atteindre les 600 000 unitĂ©s, et installer près de 80 000 bornes de recharge supplĂ©mentaires alors qu’il n’y en a que 20 000 actuellement.
Le dĂ©veloppement de l’usage passe ainsi par des Ă©quipements plus nombreux dans l’espace public. Au-delĂ des bornes telles qu’on les connaĂ®t, d’autres solutions de recharge par la chaussĂ©e pourraient ĂŞtre envisagĂ©es. Des expĂ©riences de routes Ă©lectriques sont dĂ©jĂ menĂ©es, notamment en France : Renault et Qualcomm testent depuis un peu plus d’un an un système inductif Ă Versailles, sur le site de l’institut pour la transition Ă©nergĂ©tique Vedecom.
Vision écosystémique
L’industrie routière souhaite s’associer Ă une dĂ©marche partenariale, touchant directement son mĂ©tier. Un pas Ă franchir qui n’est pas si Ă©vident, remarque Pascal Tebibel. « Historiquement, nous Ă©tions trop tournĂ©s vers nous-mĂŞmes. Nous devons apprendre Ă ĂŞtre en contact permanent avec notre environnement, pour passer d’une maĂ®trise d’ouvrage Ă une maĂ®trise d’usage. » Cependant, si la route veut conserver son rĂ´le de « charpente de l’espace public », c’est Ă elle d’instaurer un dialogue avec diffĂ©rentes parties prenantes : l’industrie automobile, les territoires et les pouvoirs publics, mais aussi les Ă©nergĂ©ticiens.
Cette volontĂ© ne cacherait-elle pas une façon d’imposer la vision du secteur dans la rĂ©volution en cours, afin de ne pas rester sur le bord de la route ? La question se pose au regard du cas du vĂ©hicule autonome. Car, en France, les premières expĂ©rimentations se sont dĂ©veloppĂ©es en grande partie sans que les entreprises de travaux publics n’aient vraiment Ă©tĂ© sollicitĂ©es. Le secteur commence Ă renverser la vapeur, avec un discours vantant les avantages d’une infrastructure adaptĂ©e Ă ce type de vĂ©hicule.
A Nantes, par exemple, l’entreprise Charier a participĂ© aux Ă©tudes et Ă l’Ă©laboration du rĂ©seau de la navette autonome en service depuis le 1er juin, avec Lacroix et EDF. « Nous sommes intervenus sur les questions relatives Ă la voirie et Ă l’alimentation Ă©lectrique. Nous fournissons par exemple des panneaux solaires intĂ©grĂ©s dans la chaussĂ©e », dĂ©crit Paul Bazireau. De façon gĂ©nĂ©rale, le dialogue interdisciplinaire s’ouvre et les acteurs de la mobilitĂ© adoptent une vision plus Ă©cosystĂ©mique. Thomas Matagne souhaite d’ailleurs qu’Ecov « travaille davantage avec les entreprises de la route. Nous devons casser les frontières et regarder la voirie non plus comme un objet physique, mais comme un service. »
Dialogue avec les élus
« Service », le mot est lâchĂ©. La diversification des entreprises tend effectivement Ă intĂ©grer de plus en plus cette notion, Ă tel point que « la technique n’est plus l’argument de vente principal », reconnaĂ®t Elie Spiroux, directeur de la stratĂ©gie pouvoirs publics chez Eiffage Route. A cause de la rĂ©volution des usages, mais pas seulement. Une autre explication est Ă chercher du cĂ´tĂ© des donneurs d’ordre : « Entre la simplification des Ă©chelons territoriaux, les regroupements, la redistribution des compĂ©tences, la donne a changĂ©. Nos entreprises, composĂ©es majoritairement d’ingĂ©nieurs, ne dialoguent plus avec des interlocuteurs qui ont suivi les mĂŞmes Ă©tudes et parlent technique, mais avec des Ă©lus. Nous devons nous adresser au bĂ©nĂ©ficiaire final : le riverain, qui est aussi Ă©lecteur et peut sanctionner. »
Prendre en compte l’utilisateur, intĂ©grer les nouvelles mobilitĂ©s très tĂ´t dans les rĂ©flexions, composer avec les besoins d’entretien de la voirie qui vont croissants… Tels sont les dĂ©fis auxquels doivent rĂ©pondre dĂ©sormais les offres des professionnels des infrastructures. Et mĂŞme si la dotation globale de fonctionnement n’a pas baissĂ© cette annĂ©e, les collectivitĂ©s locales doivent s’engager dans des contrats d’objectifs avec l’Etat qui risquent de rĂ©duire leurs marges de manĹ“uvre. ConsĂ©quence : le mĂ©tier n’est plus le mĂŞme qu’il y a dix ans. Christophe Ribette, directeur technique du groupe Roger Martin, va jusqu’Ă Ă©voquer des entreprises qui se transforment en « bureaux d’Ă©tudes », bien au-delĂ du simple rĂ´le de constructeur. Ce qui fait dire Ă Guillaume Malochet, d’Eurovia, que « la vraie dĂ©finition de notre mĂ©tier, c’est d’ĂŞtre des amĂ©nageurs urbains ».
Vers une loi très « routière »
DĂ©calĂ©e plusieurs fois, la loi d’orientation sur les mobilitĂ©s (LOM) sera discutĂ©e en 2019 au Parlement. La route devrait y tenir une place particulière. Face Ă la dĂ©gradation du rĂ©seau national, le gouvernement a promis de mettre en place « un plan de sauvegarde des routes » pour 2019, dans le cadre de la LOM. Pour cela, le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) dĂ©diĂ© au rĂ©seau national passera de 850 M€ en 2018 Ă 930 M€ en 2023. Cette enveloppe financera aussi la modernisation du rĂ©seau, « car nous ne pouvons pas nous contenter de le remettre en bon Ă©tat, nous devons l’adapter e siècle et prĂ©parer la route intelligente », estime la ministre des Transports, Elisabeth Borne.
A Lyon, les leçons de l’expĂ©rience Navly
Depuis septembre 2016, deux navettes autonomes baptisĂ©es « Navly » (conçues par Navya et exploitĂ©es par Keolis) circulent sur 1,3 km de quais lyonnais, entre la station de tramway Montrochet et la pointe de la Confluence. Un dĂ©but de rĂ©volution qui n’a demandĂ© que peu d’amĂ©nagements. Les vĂ©hicules roulant sur un site piĂ©ton, les quelques travaux prĂ©alables ont concernĂ© la rĂ©alisation et l’installation de cinq arrĂŞts sur le parcours, et une signalĂ©tique particulière au sol.
Cette expĂ©rience de desserte du dernier kilomètre aide Ă nourrir les rĂ©flexions au niveau national et Ă envisager l’Ă©tape suivante : l’insertion de navettes sur la voirie dĂ©jĂ existante au milieu des autres vĂ©hicules. Pour cela, les solutions d’amĂ©nagement et d’amĂ©lioration de la voirie et de ses Ă©quipements devront ĂŞtre lĂ©gères. Et pensĂ©es en collaboration avec l’industrie routière.
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