Lors d’une première soirée-débat organisée le 20 juillet à l’Université Paris Dauphine sur la justice numérique et les legaltechs, Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat au numérique, avait annoncé que : « l’Etat effectuera des expérimentations sur la blockchain en cours de mandat, en relation avec des collectivités territoriales ». Sans plus de précisions.
A l’initiative de la 27e Région, un laboratoire de transformation publique, et de la société Seraphin.Legal, une table ronde a ainsi été organisée le 26 octobre au soir afin de réfléchir aux orientations à donner à ces expérimentations. Dans ce cadre, sont notamment intervenus Claire Balva (CEO Blockchain Partner) pour débroussailler la technologie blockchain, Simon Marsol (Directeur secteur public – Sopra Steria) sur les possibilités offertes par le développement des smart cities, Christophe Lemee (Directeur – Deep Block), et Nina Fabrizi-Racine, qui représentait notamment Céline Faivre (Chief Digital Officer et Directrice des affaires juridiques du Conseil régional de Bretagne) sur la question blockchain appliquée à la commande publique.
Au cours d’une interview accordée à La Gazette des communes, Thomas Saint-Aubin, entre autres directeur associé de Seraphin.Legal et enseignant à l’Ecole de Droit de la Sorbonne et à l’Ecole du Barreau de Paris, et Nina Fabrizi-Racine, qui a étudié de près la question des applications blockchain dans le secteur public, au sein de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ont fait le point sur les pistes évoquées lors de cette soirée.
Pourquoi le gouvernement choisit-il le cadre de la collectivité territoriale pour mener des expérimentations sur la blockchain ?
Nina Fabrizi-Racine : A l’échelle des collectivités territoriales, on est très vite en lien avec le territoire. Les effets des politiques publiques sont plus rapidement visibles. De plus, les marges de manœuvre sont importantes. Il s’agit donc effectivement d’un bon échelon pour expérimenter.
Thomas Saint-Aubin : Il faut ajouter à cela qu’une expérimentation au niveau local est moins lourde à mettre en place qu’au niveau national. Cela demanderait peut-être plus de temps.
A l’issue de cette soirée, quelles sont les premières pistes de travail ?
TSA : Différents cas d’usage possibles sont apparus. Le secteur de la commande publique est un des secteurs où l’utilisation de la blockchain sera la plus intéressante, avec notamment la possibilité d’automatiser l’exécution de certains contrats grâce aux smart contracts.
La smart city aussi sera un terrain de jeu pour la blockchain. Il faudra d’ailleurs peut-être commencer par là, en surfant sur la vague du « maire augmenté ».
NFR : La blockchain peut également participer à la construction d’une nouvelle forme d’administration. Par exemple, elle pourrait permettre de remplacer la transmission de documents par des transferts de traces (hash) de documents. Mais cela impose une grande confiance entre les administrations puisqu’elles ne seront pas toutes en possession de la preuve matérielle.
En outre, et s’il est encore difficile de voir toutes les potentialités de la blockchain, sa « modalité registre » est fondamentale. Cela pourrait notamment permettre d’établir de la confiance numérique, grâce à la traçabilité et la certification que garantit cette technologie. Cela peut concerner les actes d’état-civil, le cadastre…
La blockchain peut-elle aussi jouer un rôle dans la décision publique ?
TSA : Oui. Les processus de mise en œuvre d’une décision publique sont longs. Par exemple, sur le plan législatif, pour mettre en œuvre une loi, il y a le temps des travaux parlementaires, éventuellement de la consultation citoyenne, puis vient le temps des décrets, celui des circulaires, l’accompagnement de la réforme, la formation des personnels… Au final, il faut généralement 5 ans, soit un quinquennat….
En utilisant les solutions innovantes de la civic tech et de la legaltech, il serait possible de réduire ce temps de conduite du changement tout en favorisant le débat public. Par exemple, favoriser et généraliser la co-construction de la loi et des décrets puis accompagner la mise en œuvre de ces réformes en « codant le droit » dès son entrée en vigueur, puis en ouvrant les données de jurisprudence pour pouvoir suivre les effets de l’application d’une réforme.
Concrètement cela implique de coder nativement le droit. L’objectif est d’être ultérieurement en mesure de confronter la situation individuelle d’un administré aux règles applicables, pour lui proposer un accès aux droits plus efficient et plus efficace. Plutôt que de simplifier les démarches, il faut permettre la mise en œuvre effective des droits et ne plus contraindre le citoyen à chercher lui-même les droits auxquels il peut prétendre.
Une partie de cette codification pourrait se faire par la blockchain. Finalement le corpus des règles régissant un territoire n’est-il pas une DAO comme une autre ?
L’ouverture des décisions de justice, de son côté, permettrait de constater l’impact social de la nouvelle norme (qu’elle soit nationale ou locale), pour éventuellement modifier les textes, et utiliser le droit comme un moyen de pilotage de l’action publique.
Le droit ne doit plus être un simple outil de communication politique, et doit redevenir le principal instrument de conduite des politiques publiques.
Pour expérimenter le potentiel du « law is code » et utiliser la blockchain pour accompagner les réformes et favoriser l’accès au droit, il serait envisageable de commencer par les décisions des exécutifs locaux. Nous cherchons des collectivités volontaires !
La technologie blockchain n’entre-t-elle pas en contradiction avec le rôle qu’entend jouer la personne publique ?
NFR : Non, pas du tout. Nous avons un besoin de confiance numérique. Or, la blockchain peut permettre la mise en place d’une telle confiance.
De même, il est aujourd’hui fait mention de simplification, d’Open Government, de transparence, de passage d’un Etat-silo à un Etat-plateforme. L’administration commence à être envisagée comme une méta-plateforme. La blockchain s’inscrit au carrefour de ces différentes dynamiques.
Cet article est en relation avec les dossiers
- Legaltech et digitalisation du droit : des opportunités pour les collectivités
- Smart city : les clés de la ville intelligente
Thèmes abordés