La commande publique représentait en 2014 près de 10% du PIB(1). Cet enjeu budgétaire considérable, notamment pour les collectivités territoriales, a conduit les économistes les plus renommés à plaider en faveur du renforcement de son efficacité(2), laquelle passe par une saine gestion du risque contentieux auquel sont exposés les marchés publics.
Promulguée le 9 décembre 2016, la loi dite loi « Sapin II » (3) répond à cet appel du pied, avec des dispositions intéressant le risque contentieux et ses éventuelles conséquences indemnitaires dans les contrats publics impliquant un financement externe, dont les marchés de partenariats de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.
La loi Sapin II a réécrit l’article 89 de cette ordonnance(4) en apportant un supplément de sécurité juridique pour les parties à un marché de partenariat et en limitant fortement les incertitudes sur le financement de projets publics.
Un dispositif réécrit au service des réalités économiques
Dans sa nouvelle mouture, l’article 89 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 prévoit qu’en cas de fin du contrat décidée par le juge(5) à la suite d’un recours de tiers au contrat, le titulaire du marché de partenariat peut prétendre à l’indemnisation des dépenses qu’il a engagées dès lors qu’elles ont été utiles à l’acheteur.
Ce faisant, il tient compte des réalités économiques de ces contrats puisque, parmi les « dépenses utiles », les frais liés au financement mis en place(6) par le titulaire dans le cadre de l’exécution du contrat peuvent être pris en compte, sous réserve de la mention, dans les annexes du marché de partenariat, des principales caractéristiques des financements concernés.
De plus, si une clause du marché de partenariat fixe les modalités d’indemnisation du titulaire en cas de fin du contrat décidée par le juge, elle est réputée divisible des autres stipulations du contrat.
On relèvera d’emblée que cette rédaction vient « gommer » certaines incohérences qui subsistaient entre cette disposition (dans sa version initiale) et son « pendant » applicable aux contrats de concession(7). Ces ajustements rédactionnels consolident sans aucun doute le supplément de sécurité juridique que ces dispositions visaient dès le départ à apporter aux parties concernées par ces contrats.
Un supplément de sécurité juridique pour le financement des projets publics
L’objectif premier de cette disposition, qui prévoit notamment la divisibilité des clauses d’indemnisation en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation du contrat par le juge, est la sécurité juridique des parties au contrat et de leurs prêteurs.
L’article 89, dans sa rédaction initiale, consacrait déjà cette divisibilité ainsi que la prise en compte des frais financiers dans les dépenses utiles indemnisables, le cas échéant sur le fondement d’une clause d’indemnisation divisible du reste du contrat, en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation par le juge.
La loi Sapin II apporte, à deux égards, un net progrès par rapport à la rédaction initiale qui était celle de l’ordonnance du 23 juillet 2015.
D’une part, il est désormais prévu(8) que « les frais liés au financement mis en place dans le cadre de l’exécution du contrat, y compris, le cas échéant, les coûts pour le titulaire afférents aux instruments de financement » peuvent faire partie des dépenses utiles indemnisables. Cette rédaction est plus englobante que la version initiale du texte, qui visait « les frais financiers liés au financement mis en place dans le cadre de la mission globale confiée au titulaire » laissant de côté d’autres conventions – tout aussi utiles au financement d’un projet public – telles les conventions de swaps.
D’autre part, si cette rédaction subordonne toujours la prise en compte de frais liés au financement à une formalité, cette dernière est clarifiée. Les frais liés au financement sont donc des dépenses utiles sous réserve de « la mention, dans les annexes du marché de partenariat, des principales caractéristiques des financements à mettre en place pour les besoins de l’exécution du marché ».
Il s’agit d’un progrès par rapport à la formule initiale qui visait les « clauses liant le titulaire aux établissements bancaires » et qui suscitait des interrogations, puisque l’expression établissements bancaires manquait de clarté et pouvait renvoyer aux établissements de crédit au sens du Code monétaire et financier, sans viser tout type d’investisseur financier, dont les fonds d’investissement.
De plus, répondant à l’objectif de simplification suivi par le législateur, la loi Sapin II prévoit que la mention dans les annexes du marché de partenariat des principales caractéristiques des financements suffit, sans plus de formalités, pour permettre la prise en compte des frais financiers dans les dépenses utiles indemnisables, alors que la disposition antérieure imposait la mention des clauses liant le titulaire aux établissements bancaires, ce qui était source d’incertitude, notamment sur la forme que cette « mention des clauses » devait prendre : fallait-il annexer l’intégralité de la documentation de financement au marché de partenariat ? Ou bien une simple référence à ces engagements ou une synthèse de leur contenu ?
Une limite relative : seuls les recours de tiers sont visés
Le dispositif de sécurisation juridique ainsi prévu se trouve limité aux cas d’annulation, résolution, résiliation judiciaires faisant suite au recours de tiers. Cette limite n’existait pas dans la version initiale de l’ordonnance du 23 juillet 2015 (mais avait été introduite uniquement concernant les contrats de concession(9)).
Pourquoi ne pas adopter la même solution en cas de contentieux entre les parties au marché de partenariat ? De façon concrète, cette exclusion des litiges inter partes peut s’expliquer par la genèse du risque contentieux que l’ordonnance du 23 juillet 2015, telle que modifiée par la loi Sapin II, vise à limiter. L’expérience montre que les contentieux relatifs aux contrats/marchés de partenariat résultent presque toujours de recours de tiers.
Au-delà de cette limite très relative (à la nature du requérant), les apports de la loi Sapin II en matière de sécurité juridique dans les marchés de partenariat sont évidents, de nature à favoriser le bouclage de leur financement et contribuent pleinement à l’efficacité de la commande publique et de l’économie qu’elle sert.
Domaines juridiques
Notes
Note 01 Site internet du Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie La commande publique en quelques chiffres : https://www.economie.gouv.fr/economie/commande-publique-en-quelques-chiffres Retour au texte
Note 02 Stéphane Saussier et Jean Tirole, « Renforcer l’efficacité de la commande publique », Les notes du conseil d’analyse économique, n° 22, avril 2015. Retour au texte
Note 03 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Retour au texte
Note 04 N.B. : les modifications apportées par la loi Sapin II ne s'appliquent qu'aux marchés publics (marchés de partenariat) pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d'appel à la concurrence est envoyé à la publication postérieurement à la publication de cette loi (publiée au JORF du 10 décembre 2016). Retour au texte
Note 05 La « fin » visant, à la fois, l'annulation, la résolution ou la résiliation du contrat décidée par le juge. Retour au texte
Note 06 En ce compris, le cas échéant, les coûts pour le titulaire afférents aux instruments de financement et résultant de la fin anticipée du contrat. Retour au texte
Note 07 Art. 56, ord. n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession. Retour au texte
Note 08 Art. 89-I de l’ordonnance du 23 juillet 2015, modifié par la loi Sapin II. Retour au texte
Note 09 art. 56 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession. Retour au texte