En droit interne, l’affaire était entendue, le Conseil d’Etat a tranché : les avocats sont des prestataires comme les autres. Seuls les banquiers et les notaires avaient droit à un traitement de faveur.
La location d’argent, c’est sûr, demande une relation de confiance exclusive des règles de la commande publique ! Passer un acte notarié, c’est sûr, implique une relation particulière de confiance dont on n’a pas besoin quand on choisit un avocat pour défendre son honneur, sa réputation, voire sa liberté. Les avocats des personnes publiques se sont donc livrés à cette mise en concurrence. Dix ans après que constate-t-on ? Le paysage est contrasté.
D’un côté, les personnes publiques sont allées chercher d’autres compétences : l’offre des avocats est devenue plus technique. L’avocat n’est plus seulement l’avocat du maire, mais d’abord celui de la collectivité. De l’autre la baisse considérable des prix a conduit à une baisse de la qualité des prestations pour tenir des prix devenus parfois inférieurs à ceux pratiqués par des artisans du bâtiment.
Fuite de talents
D’un côté, les personnes publiques ont pu faire, de-ci de-là, des économies sur les honoraires (mais personne n’indiquera le coût d’un procès perdu, d’un conseil non donné dans la négociation d’une délégation de service public…).
De l’autre, une fuite des talents et de la qualité dans la défense des personnes publiques : comment peut-on espérer garder les mêmes talents, avoir le même niveau de conseil par un avocat payé quatre fois moins que celui du cocontractant de l’administration ? Et puis, la relation de confiance entre l’avocat et la personne publique est détériorée, voire rompue : un bon avocat doit connaître les enjeux de son client, comprendre les attentes de la collectivité, son organisation, prendre en compte l’importance du projet, les risques de toute nature (de réputation, politiques, pénaux, civils…)
Comment peut-il en être porteur s’il connaît mal son client, saisi épisodiquement d’une question coupée du projet et découpée en tranches (allotissement oblige) ?
Comment l’avocat, remis en concurrence en permanence dans des accords-cadres, peut encore prendre le temps de comprendre les enjeux et les aboutissements ? Il risque malheureusement de se cantonner à des réponses purement techniques.
Nous l’avons constaté avec certains bureaux d’étude : les prix trop bas, que la jurisprudence sur l’offre anormalement basse ne permet pas de contrôler, entraînent aussi la multiplication des conflits d’intérêt. On cherche à se rattraper auprès des opérateurs privés des prix prédateurs pratiqués dans le public. Au risque de ne plus voir la frontière entre l’information et la défense des intérêts des uns et des autres. Les avocats sont protégés de ces dérives par leurs règles déontologiques, très prégnantes, mais jusqu’à quand ?
L’Europe l’a compris, en excluant de la directive « marchés » l’obligation de mise en concurrence des contentieux et de tout le conseil précontentieux. Bercy n’a pas voulu l’entendre ! Il est vrai que l’Etat prend rarement des avocats, le juge administratif étant rarement indifférent à l’intérêt supérieur de celui-ci. Nous avons donc surtransposé…
Une solution intelligente eut été de laisser à la sagacité des acheteurs publics le choix de leur conseiller de rencontrer les cabinets d’avocat, de les faire travailler sur un dossier pour s’assurer du niveau de relation attendu.
C’était le sens de l’opportunité ouverte par la directive.
Domaines juridiques