La baisse inédite des dotations de l’Etat (11 milliards d’euros en trois ans) réduit mécaniquement l’épargne nette des collectivités territoriales, et donc leur capacité d’autofinancement des investissements. Comment, dans ce contexte très contraint, continuer à financer de nouveaux projets sans mettre en péril les équilibres financiers des budgets locaux ? « Les collectivités présenteront probablement des ratios de gestion dégradés », admet Jean-Sylvain Ruggiu, directeur « secteur public » à la Caisse d’épargne, qui estime que, « dans ce contexte, les élus seront souvent amenés à faire des arbitrages ».
Transformer la contrainte en opportunité – Faire des choix, mais aussi faire évoluer les méthodes et bousculer les habitudes. Plus question « d’être drogué à la dépense », selon l’expression d’Yves Fréville, professeur émérite à l’université Rennes 1. « Au lieu d’ajuster comme par le passé les recettes aux dépenses prévues, les élus doivent inverser le mécanisme », prévient Jean-Luc Bœuf(1), directeur général des services de Quimper (63 400 hab., Finistère) et Quimper agglomération (8 communes, 87 000 hab). Un avis partagé par Guy Gilbert, professeur émérite à l’Ecole nationale supérieure de Cachan (lire ci-dessous).
Attention toutefois à « ne pas procéder à des coupes budgétaires à l’aveugle », alerte Antoinette Hastings-Marchadier, professeur de droit public à l’université de Bretagne sud. D’autant moins qu’un arrêt brutal des investissements risque de dégrader la valeur des actifs et de porter préjudice à l’attractivité des territoires, à l’instar de ce qui s’est produit en Allemagne, « où les investissements ont été divisés par deux dans les communes pour financer les retraites », rappelle Nicolas Portier, délégué général de l’Assemblée des communautés de France (ADCF). Certes, il faudra désormais « faire avec moins de moyens », convient ce dernier, « mais jusqu’où aller ? »
C’est tout l’enjeu des trois prochaines années. Au final, le challenge consiste à transformer la contrainte financière en opportunité pour qu’émergent des solutions innovantes et performantes (lire p. 24-25), mais surtout à adapter plus finement les projets aux disponibilités financières des collectivités et aux besoins des territoires. L’ADCF invite à programmer avec plus de rigueur les dépenses d’équipement et à constamment « évaluer leur utilité sociale » (2). Les démarches de prospective mériteraient d’être développées pour affiner la distinction entre exigence de renouvellement des équipements et besoin de déploiement de nouvelles infrastructures, tout en prenant mieux en compte les coûts de fonctionnement.
L’emprunt, un levier limité – Un exercice auquel vient de se plier la région Bourgogne. Après avoir évalué le coût de fonctionnement de treize nouvelles rames de TER inscrites en autorisations de programme en novembre 2013 (pour un montant de 180 millions d’euros), elle a annulé cette acquisition au profit de la rénovation des trains Corail, estimée à 40 millions d’euros. « Les trains Regio 2N coûteraient à la région 5,5 millions de plus par an en exploitation et en maintenance », justifie la région.
La prospective doit aussi être financière afin d’évaluer les marges de manœuvre de la collectivité, ce qui nécessite « d’investir dans les outils de la connaissance », conseille l’ADCF. Celle-ci recommande la mise en œuvre de « programmes pluriannuels d’investissement de territoire » (PPIT), adossés au projet de territoire et au schéma de mutualisation. « On ne peut plus penser les projets d’équipements importants (culturels, sportifs) à une dimension microterritoriale », convient Antoinette Hastings-Marchadier, qui milite en faveur de l’obligation des PPI.
Certaines collectivités annoncent d’ores et déjà un recours accru à l’emprunt pour maintenir leurs investissements. Une option d’autant plus attrayante que les taux d’intérêt sont historiquement bas et la ressource abondante et diversifiée (banques commerciales, Caisse des dépôts, Banque européenne d’investissement, contrats de plan Etat-région, fonds européens). « Ce levier est réel mais par définition limité, avertit Jean-Sylvain Ruggiu, et ne reste envisageable que pour les collectivités peu endettées. »
Hiérarchisation des priorités – L’optimisation de la ressource ne passerait-elle pas par son fléchage sur des projets spécifiques, tels la transition énergétique ou le développement du très haut-débit, et sur des politiques publiques ciblées ? La Seine-Saint-Denis vient ainsi d’allouer près de 600 millions d’euros à son plan « ambition collèges 2020 » pour rénover 80 établissements et en construire 10 autres. « Nous n’utiliserons plus de droits de tirage en matière d’investissement et privilégierons les investissements essentiels pour la collectivité, à savoir les collèges et la petite enfance », explique Stéphane Troussel, président du conseil général.
Mais, in fine, en fonction de quels critères procéder à des arbitrages ? Faut-il s’interdire les équipements alourdissant les charges de fonctionnement, à l’instar de Cahors (lire p. 25), prioriser le renouvellement du patrimoine, privilégier les investissements productifs ou miser sur le développement économique local ? Si la réponse se trouve dans un panachage de ces diverses options, Antoinette Hastings- Marchadier rappelle aussi que « l’on ne peut plus penser à la hiérarchisation des priorités sans engager une réflexion sur la démocratie participative ».
Une régulation cohérente entre ressources et dépenses
Le contrôle indirect de l’Etat sur la croissance des dépenses locales par la seule régulation de la ressource atteint ses limites. Difficile d’accentuer la baisse des dotations et d’étendre davantage le contrôle sur l’évolution des taux de fiscalité. « Je ne vois pas non plus comment revenir à l’autorisation administrative de l’emprunt », observe Guy Gilbert, professeur émérite à l’Ecole nationale supérieure de Cachan.
Face à la progression des dépenses locales, il faut mettre en place « une régulation cohérente entre ressources et dépenses », afin de retrouver « des marges de progrès en mesure d’améliorer la gouvernance des relations financières entre l’Etat et les collectivités », assure Guy Gilbert.
Il préconise deux stratégies de coordination. L’une, « impérative », conduirait à revisiter le cadre comptable et les règles budgétaires imposés par les autorités centrales pour garantir une meilleure maîtrise des collectivités sur les choix de dépenses sans remettre en cause leur liberté de gestion. L’autre, « coopérative », consisterait à élaborer le cadre d’une négociation entre l’Etat et les collectivités sur les objectifs budgétaires.
« La métropole génère efficacité et économies », Benoît Quignon, DGS de la métropole de Lyon (59 communes, 1,32 million d’hab., Rhône)
« La création de la métropole de Lyon permet d’optimiser toutes les politiques publiques. En matière d’action sociale, de développement économique et de logement, la réunion des compétences du département et de celles de la communauté urbaine permet une meilleure adéquation entre les ressources et les besoins. La gestion unifiée des voiries permettra de mettre en œuvre des processus de production plus efficaces. Les économies obtenues seront réinvesties dans la remise à niveau d’ouvrages d’art et de routes. De même, la création d’une chaîne des acteurs du logement générera plus de leviers pour augmenter les financements et orienter les investissements des bailleurs sociaux en fonction des besoins. »
« La commune nouvelle permet de rationaliser l’investissement », Jean-Christophe Paquier, maire d’Ecuelles (2 500 hab., Seine-et-Marne)
« Les communes voisines d’Ecuelles et de Moret-sur-Loing souhaitaient chacune construire une médiathèque : un équipement de 400 m2 à 2 millions d’euros pour Moret-sur-Loing et un autre de 200 m2 à 1 million d’euros pour Ecuelles. J’ai proposé au maire de Moret-sur-Loing de ne bâtir qu’une seule médiathèque, ce qui a déclenché le regroupement de nos deux communes, depuis le 1er janvier 2015, au sein de la commune nouvelle d’Orvanne. Car cette opération nous a montré qu’il était possible de rationaliser nos investissements, puisque nous allons réaliser un équipement plus grand (500 m2) et moins cher (1,5 million). Nous profiterons en outre d’une subvention de la région Ile-de-France qui finance les médiathèques des villes de plus de 5 000 habitants. »
« La fusion de nos régions ne modifiera pas la donne », Gaël L’Aot, directeur financier de la région Languedoc-Roussillon (2,78 millions d’hab.)
« La fusion des régions pourra générer des marges de manœuvre financières, mais elles dépendront de la situation de chaque territoire. La capacité d’investissement de la nouvelle entité née de la fusion des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées sera importante. Il s’agit ici de marier deux régions confrontées aux mêmes contraintes sur les recettes, très peu endettées, avec un niveau d’épargne élevé, et donc une capacité d’autofinancement des investissements importante. Elles bénéficient des mêmes possibilités de recours à l’emprunt et, qu’elles soient seules ou à deux, elles disposent d’une force de frappe identique pour lever des financements auprès de la Banque européenne d’investissement ou de la Caisse des dépôts. »
Cet article fait partie du Dossier
Investissements : faire mieux avec moins
Sommaire du dossier
- Des « prêts d’urgence » pour soutenir l’investissement des collectivités
- Bloc communal : investir c’est choisir ?
- Le nouveau paradigme de l’investissement public local
- Imaginatifs, les territoires s’adaptent pour continuer à investir
- « Il faut maintenir l’investissement public en s’endettant »
- Décrochage inédit dans le financement de l’investissement
- L’insuffisante évaluation des investissements locaux
- Montélimar agglomération raisonne en coûts de revient
- Investissement : le bloc communal doit agir vite
- Baisse des dotations : faut-il passer à un service public low cost ?
Thèmes abordés