Pour l’Association gĂ©nĂ©rale des conservateurs de collections publiques de France (AGCCPF), la rentrĂ©e et les mois qui vont suivre s’annoncent bien en dossiers lourds d’incidences pour l’avenir de la profession et des institutions musĂ©ales. En exclusivitĂ© pour la Gazette, son prĂ©sident, Eric Blanchegorge, conservateur en chef et directeur des musĂ©es de Troyes (Aube), dĂ©taille pour la Gazette les enjeux de cette actualitĂ©. Après le point sur le rĂ©colement, et l’état de la rĂ©flexion de l’association sur l’évolution des statuts des professionnels du patrimoine, voici le 3ème volet de cet entretien. Il porte sur la rĂ©organisation de la gouvernance territoriale, en cours. Il aborde aussi l’avant-projet de loi sur les patrimoines, prĂ©parĂ© par l’ex-ministre de la culture, AurĂ©lie Filippetti, qui, depuis la rĂ©alisation de cette interview, cet Ă©tĂ©, a cĂ©dĂ© son fauteuil Ă Fleur Pellerin. Reste Ă savoir ce que la nouvelle ministre fera de ce projet.
La réforme territoriale inquiète-t-elle les professionnels des musées ?
Parlons d’abord de ce qui nous rassure. Les institutions patrimoniales reposent sur des centaines de milliers d’objets : elles ne disparaîtront pas de sitôt et il y aura donc toujours un échelon territorial pour s’en occuper. Mais nous nous interrogeons beaucoup sur l’avenir de la clause de compétence générale et son périmètre, une fois « répartie » les compétences obligatoires.
C’est-à -dire ?
Nous assistons à une remise en question discrète de la clause de compétence générale. Certes, la ministre de la Culture et le Président de la République, que nous avons rencontrés en février avec nos collègues des autres secteurs culturels, nous assurent que la culture constitue, à l’évidence, une compétence partagée. Et qu’elle le restera, même si toutes les autres compétences, sport et tourisme compris, devaient être réparties entre les différents échelons territoriaux. Soit. Cependant, un tel contexte soulève beaucoup de questions.
Lesquelles précisément ?
En premier lieu : que partagera-t-on, une fois « distribuĂ© » tout ce qui est obligatoire ? Autrement dit, quels moyens restera-t-il pour la culture, une fois rĂ©partis les budgets entre toutes les compĂ©tences obligatoires ? En second lieu : quel sera le pĂ©rimètre partagĂ© ? Prenons un exemple-type : l’investissement dans les Ă©quipements culturels. Très souvent, ces derniers ne sont pas rĂ©alisĂ©s au titre du budget culturel. Ils le sont, par exemple, au titre de l’amĂ©nagement du territoire – cas très frĂ©quent – ou de la requalification urbaine, ou encore des grands projets urbains, voire d’autres politiques quel que soit le nom qu’on leur donne. BudgĂ©tairement parlant, ces investissements ne relèvent pas de la culture. A l’avenir, en relèveront-ils ? Seront-ils partagĂ©s, ou pas ? Prenons un cas concret : tel festival continuera Ă ĂŞtre cofinancĂ© par plusieurs collectivitĂ©s. Bien, mais quid des fauteuils du théâtre qui accueille ledit festival ? Si ce type d’investissement culturel relevait de l’amĂ©nagement du territoire, ne dĂ©pendrait-il pas d’une seule collectivitĂ© ? Donc les fauteuils du théâtre ne seraient plus cofinancĂ©s par plusieurs collectivitĂ©s. En procĂ©dant Ă la rĂ©partition des compĂ©tences, on aurait, au passage, perdu un peu des moyens qui Ă©taient Ă partager dans le domaine culturel entendu au sens large.
Si l’on suit votre raisonnement, on va vers une configuration où seules les dépenses de fonctionnement resteraient cofinancées ?
C’est une éventualité. Mais si les coûts de fonctionnement sont cofinancés, alors que les dépenses d’équipement ne le sont pas, on est en droit de se demander, ce qui, au final, restera disponible. Car les collectivités dont les compétences auront été spécialisées dans tels ou tels domaines consacreront à ces derniers l’essentiel de leurs budgets : que garderont-elles pour ce qui ne sera pas obligatoire, s’il ne reste que les dépenses culturels de fonctionnement comme compétence partagée ? Sincèrement, si la culture devient un isolat dans un océan de compétences obligatoires, on peut craindre que les budgets qui lui seront consacrés deviennent ridiculement faibles. Cette question est aussi problématique pour les Monuments historiques, dont une partie des départements et une partie des régions cofinancent, au titre des investissements, les restaurations mobilières et immobilières, au côté de l’Etat et du propriétaire. Y compris parfois avec la Fondation du patrimoine, pour des biens privés à visibilité publique.
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