Jusqu’où les différents partenaires locaux de la sécurité et de la prévention de la délinquance peuvent-ils partager entre eux les informations dont ils disposent sur les personnes suivies ? La question est sensible parmi les travailleurs sociaux qui, depuis longtemps, voient dans les injonctions des autorités publiques à partager leurs « informations » une atteinte au secret professionnel et à la vie privée des personnes.
Pour y remédier, le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance a diffusé le 18 juillet une charte déontologique type sur l’échange d’informations au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.
RĂ©vision du cadre antĂ©rieur – Le document, qui est assorti d’un avis du Conseil supĂ©rieur du travail social adoptĂ© le 17 juillet, a fait l’objet d’un dĂ©cryptage dĂ©taillĂ© du Club PrĂ©vention-SĂ©curitĂ© de la Gazette des communes, publiĂ© en juin dernier. Il comporte un certain nombre de nouveautĂ©s par rapport au cadre antĂ©rieur.
Dans le même temps, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a établi, par délibération du 26 juin 2014, une « autorisation unique », basée sur la loi informatique et libertés de 1978, qui doit permettre de couvrir tous les traitements mis en œuvre aux fins de prévention de la délinquance.
Le Club Prévention-Sécurité donne un coup de projecteur sur ces nouvelles règles.
Cnil : une « autorisation unique » pour sécuriser le traitement des données
Véritable innovation, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a adopté le 26 juin 2014 une délibération portant autorisation unique concernant les traitements de données relatifs aux personnes faisant l’objet d’un suivi par le maire dans le cadre de ses missions de prévention de la délinquance. Délibération publiée au Journal officiel du 22 juillet 2014.
« L’objectif est bien de mettre en cohérence le développement de la politique de prévention de la délinquance et la protection des libertés individuelles » déclarait en juin dernier Hervé Machi, alors directeur de la conformité à la Cnil, dans un entretien au Club prévention sécurité.
FormalitĂ©s allĂ©gĂ©es – Cette autorisation unique, qui est intĂ©grĂ©e dans la charte dĂ©ontologique type liste la nature des donnĂ©es traitĂ©es, leurs destinataires, la durĂ©e de conservation (maximum 25 ans) ou encore les exigences de sĂ©curitĂ© informatique mises en Ĺ“uvre par les collectivitĂ©s pour encadrer l’accès Ă ces donnĂ©es. Selon la dĂ©libĂ©ration de la Cnil, le responsable du traitement sera le maire ou, sur dĂ©lĂ©gation, le coordonnateur qui assure le fonctionnement et dĂ©finit les moyens pour mettre en Ĺ“uvre le traitement. L’accès aux donnĂ©es sera rĂ©servĂ© aux coordonnateurs du conseil local. En outre, le « rĂ©fĂ©rent de parcours » chargĂ© d’assurer le suivi de la personne concernĂ©e pourra « être amenĂ© Ă avoir communication des donnĂ©es ».
En revanche, sont exclus de l’accès aux donnés les membres « participant aux seules formations plénières et restreintes des CLSPD », les services de police et de gendarmerie, les services municipaux non concernés.
Pour adhérer à cette autorisation unique, qui n’est pas obligatoire, les villes devront prendre un engagement de conformité auprès de la Cnil. Elles ne seront plus tenues à déposer à la Cnil un dossier d’autorisation spécifique pour chaque traitement de données, procédure lourde que les collectivités ne remplissaient pas.
Une nouvelle charte pour encadrer l’échange d’informations : ce qui change
La question du partage de l’information au sein des CLSPD est sensible et renvoie aux débats houleux qui avaient entouré la loi du 15 mars 2007 sur la prévention de la délinquance. Sept ans plus tard, et dans un contexte différent, déjà relaté par le Club prévention sécurité, le sujet revient sur la table.
A l’initiative du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ComitĂ© interministĂ©riel de prĂ©vention de la dĂ©linquance, Pierre N’Gahane, qui en rappelait rĂ©cemment les enjeux, une nouvelle charte voit le jour et succède Ă celle de 2010, tombĂ©e dans l’oubli. L’ambition est toujours la mĂŞme : encadrer l’échange d’informations entre professionnels afin d’amĂ©liorer le suivi des individus Ă risques.
Quelles infos Ă©changĂ©es ? – Comme l’indique le guide mĂ©thodologique sur l’échange d’informations qui accompagne la charte-type, « la prioritĂ© Ă©tant donnĂ©e Ă des approches de suivi individualisĂ© en direction des jeunes les plus exposĂ©s Ă la dĂ©linquance, la question de l’échange d’informations confidentielles apparaĂ®t tout Ă fait essentielle ».
Si le texte demeure en grande partie similaire à la charte de 2010, la nouveauté réside dans la volonté de clarifier la nature même des informations échangées. Autrement dit, quelles informations les partenaires locaux sont-ils en droit d’échanger ? De l’avis du SG-CIPD, la charte de 2010 avait créé la confusion entre les notions d’informations confidentielles et d’informations secrètes.
Dans la nouvelle charte, la distinction est explicite : les échanges d’informations ne peuvent avoir lieu que dans les groupes de travail créés au sein des CLSPD, entre techniciens, et non en assemblée plénière où siègent les élus.
Surtout, ces échanges entre professionnels ne peuvent concerner que des informations confidentielles « strictement nécessaires à la réflexion collégiale sur la problématique, à l’évaluation de la situation et à la recherche de solutions ».
Echanges nominatifs – Concrètement, prĂ©cise le guide mĂ©thodologique qui accompagne la charte-type, les professionnels « peuvent Ă©voquer le nom d’une famille, d’un mineur ou d’une personne, pour signaler sa situation particulière au regard du risque de dĂ©linquance, aux autres partenaires prĂ©sents. Il peut s’agir ici de s’assurer qu’une prise en charge sociale ou Ă©ducative est en cours ou de proposer l’inscription du jeune concernĂ© dans un parcours personnalisĂ© de rĂ©insertion sociale et professionnelle dans le cadre du programme d’actions destinĂ© aux jeunes exposĂ©s Ă la dĂ©linquance.
Le guide méthodologique indique également que « les personnes intéressées sont informées de l’échange d’informations à caractère confidentiel les concernant », via l’animateur des travaux.
Entre confidences et secrets – En revanche, « un partage d’informations plus prĂ©cises sur une situation individuelle (Ă©lĂ©ments de l’histoire personnelle ou familiale, dĂ©tails du travail social et Ă©ducatif en cours, Ă©lĂ©ments sur les Ă©ventuelles procĂ©dures judiciaires en cours mettant en cause l’intĂ©ressĂ©, etc.) est exclu Ă ce niveau ».
Selon la charte, il s’agirait là d’informations, à caractère secret, ne pouvant relever que de l’échange entre professionnels de l’action sociale, comme le prévoit l’article 8 de la loi du 5 mars 2007, dispositif à ce jour jamais mis en œuvre, ou des compétences d’autres institutions comme le conseil général en matière de protection de l’enfance ou de l’autorité judiciaire en matière de suivi des mineurs multiréitérants.
Ce qu’en pensent les travailleurs sociaux
Bon nombre de professionnels du travail social ont d’ores et déjà commenté cette charte déontologique-type à laquelle un certain nombre d’entre eux ont été associés.
Interrogés par la Gazette au début du mois de juin, le Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS) évoquait un « compromis acceptable » tout en appelant les éducateurs de rue à la prudence. Même sentiment à France Médiation, qui voit dans la charte un cadre de référence « utile ».
L’association nationale des assistants de service social (ANAS) se montre beaucoup plus circonspecte. Rappelant qu’elle n’a pas été associée à la concertation, l’ANAS s’inquiète d’ « une logique de risque et de repérage des jeunes avant même qu’ils aient commis le moindre acte délictueux ».
Ce que dit le Conseil supérieur du supérieur social
Au delà des réactions professionnelles, le Conseil supérieur du travail social (CSTS) a adopté le 17 juillet 2014 un « avis sur l’échange d’informations et le partenariat dans le cadre de la prévention de la délinquance ».
Dans cet avis, le CSTS, vice-présidé par le Premier ministre, « approuve » la charte déontologique type. Il considère que cette charte est « une garantie nationale qui respecte l’éthique et les responsabilités professionnelles des travailleurs sociaux ».
Approbation prudente – Il considère que le guide mĂ©thodologique « apporte des clarifications intĂ©ressantes mais laisse persister des difficultĂ©s (…) du fait notamment du peu de convergence entre la gestion des risques et l’aide aux personnes, et du double risque d’absorber des forces au dĂ©triment d’autres politiques sociales et de crĂ©er une fonction de « rĂ©fĂ©rent de parcours » mal dĂ©finie ».
Concernant l’autorisation unique de la Cnil, le CSTS s’inquiète de « leur diffusion placée sous l’autorité du maire et du « besoin d’en connaître » des divers acteurs assurant le suivi de jeunes basculant dans la délinquance ou participant aux groupes de travail des CLSPD ». Il préconise qu’une évaluation accompagne la mise en œuvre pendant un an et qu’elle soit présentée en juin 2015 devant le CSTS.
Enfin le CSTS formule une série de recommandations pour les professionnels. Il invite les travailleurs sociaux « à s’appuyer sur la charte et à participer à ces dispositifs avec vigilance, en fonction des modalités d’application locale et des réponses données (ou non) aux inquiétudes exposées. Il souhaite que cette nouvelle stratégie favorise la coordination des acteurs et la prévention globale au service de la jeunesse ».
Références
Cet article fait partie du Dossier
Prévention de la délinquance : un nouveau cadre pour l’échange d’informations
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- Prévention de la délinquance : les nouvelles règles sur l’échange d’informations
- Charte-type sur l’Ă©change d’informations : ce qu’en pensent les travailleurs sociaux
- Une charte nationale sur l’Ă©change d’informations basĂ©e sur l’expĂ©rience du terrain
- Echange d’informations : Ă quoi va servir la nouvelle « autorisation unique » ?
- « La Cnil veut promouvoir une autorisation unique pour les traitements des donnĂ©es personnelles » – HervĂ© Machi, Cnil
- La finalitĂ© est de trouver des solutions ensemble et de venir en aide aux personnes en difficultĂ©s » – Pierre N’Gahane, SG-CIPD