« Un accident de l’ampleur de Fukushima doit être considéré comme pouvant arriver en Europe… » Un mois et demi après avoir, au cours de la 25e conférence nationale des commissions locales d’information (CLI) , dénoncé la « petite musique consistant à considérer (qu’il s’agit) d’un accident japonais et que la page est tournée », le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Pierre-Franck Chevet, a, mardi 28 janvier 2014, à Montrouge (Hauts-de-Seine), de nouveau martelé le message selon lequel « l’improbable est possible », selon la formule de son prédécesseur, André-Claude Lacoste, en avril 2012, devant le Sénat .
Divergences europĂ©ennes – Or, « serions-nous en capacitĂ© de gĂ©rer une crise affectant plusieurs pays comme cela risquerait d’être le cas avec des consĂ©quences dans un rayon de 80 km, Ă l’image de Fukushima ? » s’est-il interrogé…
La réponse était dans la question : il a des doutes sur l’efficacité du dispositif au regard des réglementations actuelles, les critères de décision divergeant selon les pays. D’où la nécessité de « progresser vers une meilleure coopération européenne », plaide-t-il.
La future directive sur la sûreté nucléaire, en ce moment entre les mains du Parlement européen, pourrait le permettre. L’ASN a toutefois, le 7 janvier 2014, émis un avis mitigé sur le texte actuel, saluant des avancées mais évoquant des manques.
Vers une prolongation du parc ? – DĂ©crivant l’état du parc français, dont nombre de centrales approchent des 40 ans pour lesquelles elles ont Ă©tĂ© « initialement » conçues et Ă qui l’ASN impose des mesures de sĂ»retĂ© dites post-Fukushima , Pierre-Franck Chevet a Ă©voquĂ© « les discussions en cours avec EDF pour leur prolongation Ă 50 ou 60 ans ».
« Si cela devait se concrétiser, les réacteurs devraient respecter d’aussi près que possible les exigences en matière de sûreté de la nouvelle génération », a-t-il souligné. Sous réserve que l’exploitant confirme son intention en présentant un dossier technique à l’ASN, celle-ci émettrait un avis, une « règle du jeu générale », sorte de feuille de route renseignant EDF sur les investissements de sûreté à réaliser.
Explosif – Le sujet est politiquement sensible, et mĂŞme explosif. Il a, en octobre 2013, conduit le dĂ©putĂ© Europe Ecologie Les Verts (EELV) de Paris Denis Baupin Ă interpeller le gouvernement en dĂ©nonçant, si les centrales devaient voir leur durĂ©e de vie prolongĂ©e, « une provocation mais aussi une aberration Ă©conomique et Ă©nergĂ©tique ». Sans obtenir en retour de rĂ©ponse claire du ministre de l’Energie, Philippe Martin
L’équilibre du système menacĂ© – Bien que la politique Ă©nergĂ©tique, notamment la question du mix, ne relève pas de son domaine de compĂ©tences, circonscrit au contrĂ´le de la sĂ»retĂ© nuclĂ©aire et de la radioprotection, l’ASN s’est aventurĂ©e sur ce terrain dans le cadre du dĂ©bat national sur la transition Ă©nergĂ©tique. Dans un avis de mai 2013, elle avait ainsi alertĂ© le gouvernement sur les rĂ©percussions pour l’équilibre du système Ă©lectrique d’une mise Ă l’arrĂŞt simultanĂ©e de plusieurs centrales.
Des arrĂŞts provisoires ou/et dĂ©finitifs – Pierre-Franck Chevet envisage deux cas de figure : la suspension, le temps d’une mise aux normes donc pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e, de cinq Ă 10 rĂ©acteurs après avoir constatĂ© un dĂ©faut gĂ©nĂ©rique grave, revers de la mĂ©daille d’un parc dont l’homogĂ©nĂ©itĂ© a jadis permis des Ă©conomies d’échelle ; une mise Ă l’arrĂŞt dĂ©finitif de sept Ă 10 rĂ©acteurs par an d’ici le milieu des annĂ©es 2020 en raison de leur âge avancĂ© : « un Ă©vĂ©nement majeur qui n’est pas si lointain… »
Anticiper – De telles situations sont « plausibles », juge-t-il. Alors, il encourage le gouvernement Ă les anticiper. « Cela suppose d’avoir des marges de manĹ“uvre, remarque-t-il. Avec d’autres capacitĂ©s de production, en France ou ailleurs (en important de l’électricitĂ©, ndlr), et des effacements de consommation. » « Il est urgent de dĂ©cider de l’avenir Ă©nergĂ©tique et notamment du système Ă©lectrique du pays », lâche-t-il. Une exhortation qui tranche avec l’attentisme dont le gouvernement semble frappé…
L’ASN revendique
De nouvelles règles de financement ; une arme de dissuasion ; des consignes claires sur le démantèlement : le président de l’ASN a profité de la cérémonie des vœux à la presse pour adresser, publiquement, ses revendications au gouvernement.
Il réclame une taxation directe des exploitants pour financer l’autorité administrative indépendante, un système d’astreintes journalières pour contraindre ces derniers à respecter sans tarder ses mises en demeure et un dispositif sur les procédures à suivre en cas d’arrêt définitif d’une installation, la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) étant susceptible d’être bientôt visée.
Pierre-Franck Chevet attend des réponses sur ces trois points dans la future loi de programmation sur la transition énergétique, ou la prochaine loi de finances en ce qui concerne le budget de l’ASN. « Notre parole et notre indépendance sont respectées, le Parlement nous entend et, je crois, nous écoute, et nous pouvons exprimer frontalement (nos positions) devant des ministres ou au-dessus d’eux », assure-t-il. Le sort réservé à ses requêtes sera une meilleure preuve encore du degré d’attention que lui prête le gouvernement.
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