S’il ne tenait qu’à elle, la députée PS de l’Isère Marie-Noëlle Battistel opterait pour l’arrêt pur et simple de la procédure de mise en concurrence de – dans un premier temps – dix concessions hydroélectriques situées dans les Alpes, les Pyrénées et le Massif Central. Un processus lancé en avril 2010 par le gouvernement Fillon puis remis en cause en octobre 2012 par la ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie Delphine Batho . Car « il est plus facile pour les pouvoirs publics de se faire entendre par une entreprise détenue à 85% par l’Etat (EDF est concessionnaire de 80% du parc, ndlr) que par des opérateurs privés », commente-t-elle. Allusion aux compagnies venant de Finlande, Suisse, Suède, Allemagne ou encore Italie attirées par le très rentable parc hydraulique français.
Un « rêve pas très réaliste » – Mais elle est bien consciente que « ce rêve n’est pas très réaliste, confie-t-elle, parce qu’il ne s’agit pas de sortir des solutions susceptibles d’être réfutées par l’Europe ou par un opérateur faisant un recours ». En effet, d’une part, la mise en concurrence des concessions françaises répond à une exigence du droit national (loi Sapin de 1993, loi sur l’eau de 2006 , transformation d’EDF en SA en 2004). D’autre part, la Commission européenne, attentive à une égalité de traitement entre acteurs de l’énergie, rappelle régulièrement la France à son devoir de « lancer des appels d’offres pour les concessions hydroélectriques afin de renforcer la concurrence sur le marché de l’électricité ». Elle l’a réitéré le 29 mai 2013, à Bruxelles, à l’occasion de ses recommandations annuelles aux Etats membres. Le dossier est même qualifié de « sensible » par les services du commissaire à l’Energie Günther Oettinger qui, sollicités par La Gazette, ont jusqu’ici choisi de ne pas s’exprimer sur le sujet.
Encadrer, c’est aussi bien joué – Alors, en guise de « scénario alternatif », pour reprendre la formule de la ministre Batho, la députée, même si elle demeure convaincue qu’une mise en concurrence d’un tel « patrimoine national » est « déraisonnable », se contentera d’un « encadrement très serré » des appels d’offres, de sorte que l’Etat « garde la maîtrise au niveau national de cet outil à part dans notre mix énergétique ». Et donc d’un « aménagement significatif du processus de remise en concurrence », comme elle l’a suggéré le 3 avril 2013 devant la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, en présentant un point d’étape du travail engagé le 14 novembre 2012 dans le cadre de sa mission d’information sur la mise en concurrence des barrages hydroélectriques.
Redécoupage en vue – La principale correction consistera à remodeler les lots soumis à appels d’offres, afin d’avoir un même concessionnaire sur une chaîne d’ouvrages. « Les différents usages de l’eau ou la gestion des crues, comme on l’a vu récemment, c’est quand même plus simple à mener avec un opérateur unique que quand vous en avez trois qui se succèdent », commente Marie-Noëlle Battistel, en évoquant son expérience d’élue locale de l’Isère. « Sur certains barrages isolés, ça ne pose pas de problème car ils sont autonomes, précise-t-elle. Mais sur d’autres, il y a inadéquation des découpages. » Et elle juge que « le précédent gouvernement n’a pas dû se poser la question… »
Un calendrier glissant – Candidat à la reprise de plusieurs concessions, le P-DG de la filiale française de l’énergéticien finlandais Vattenfall, Frédéric de Maneville, se serait satisfait d’appels d’offres portant sur les lots tels que dessinés sous le ministère Borloo, « même s’ils n’étaient pas parfaits ». « On peut en effet faire cohabiter sur une même cascade des opérateurs différents sans désoptimiser l’ensemble, simplement en organisant une coordination entre eux », assure-t-il. Toutefois, faisant état de « signaux positifs du côté du ministère de l’Economie », il salue la position du gouvernement, « qui a compris qu’il n’y aurait pas d’autres solutions que la mise en concurrence ». Il s’inquiète néanmoins du « risque que les procédures d’appels d’offres ne soient encore étalées dans le temps » (voir aussi encadré ci-dessous). Car, en matière de calendrier, c’est « le flou le plus artistique », reconnaît la députée Battistel, dont le rapport final pourrait être, au plus tôt, remis fin juin, soit sept mois et demi après le lancement d’une mission censée en durer deux…
Les collectivités veulent plus d’écoute de l’Etat – Si les opérateurs alternatifs (les concurrents d’EDF et de GDF Suez, pour sa part concessionnaire de 20% du parc hydraulique français, ndlr) s’impatientent, les élus locaux concernés, eux, s’interrogent sur leur place dans le dispositif. « Il importe que la voix des collectivités territoriales soit bien entendue au moment de l’élaboration des cahiers des charges », a, par exemple, plaidé le député européen et élu UMP de Savoie Michel Dantin, le 28 mai à Paris, lors d’un colloque. Il « souhaite ardemment qu’on trouve un lieu de dialogue entre l’Etat et les partenaires locaux ». Une revendication souvent émise sous le gouvernement précédent et qui dépasse donc les clivages politiques.
Vers la constitution de SEM ? – Ce désir des collectivités d’être plus consultées, via les associations d’élus (AMF, ANEM…) et d’autres instances, comme les comités de bassin, pourrait d’autant se justifier qu’est à l’étude leur possible implication dans le futur paysage hydraulique à travers la création de sociétés d’économie mixte locales (SEML). L’idée se heurte encore à l’impossibilité pour de telles structures d’exercer en direct l’activité de production hydroélectrique. Une solution pourrait cependant être trouvée avec l’extension de l’objet de la concession à l’aménagement du territoire. Dans l’esprit en quelque sorte du modèle suisse de partenariat étroit entre opérateurs et cantons ou communes.
Le temps, c’est de l’argent
Cent cinquante millions d’euros par an : c’est le montant perdu par l’Etat et les collectivités concernées par année de retard dans le lancement du renouvellement des concessions hydroélectriques, estime l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG), le regroupement de producteurs concurrents d’EDF et de GDF Suez, dont plusieurs sont des acteurs majeurs du parc hydraulique européen. Ce montant correspond, selon elle, à la nouvelle redevance sur le chiffre d’affaires que percevront l’Etat, les départements et les collectivités territoriales, à hauteur de, respectivement, 50%, 1/3 et 1/6 (Art. L. 521-23 du code de l’énergie). En ces temps de disette budgétaire, l’argument aurait pu faire mouche. Il n’a toutefois manifestement pas été suffisant pour convaincre un pouvoir avant tout soucieux de protéger un « patrimoine national »… et aussi l’entreprise EDF face à des industriels montrés du doigt. En témoigne ce propos, le 22 mai à Paris, lors d’un colloque, du président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, le député PS François Brottes : « Ils veulent acheter ici en France des équipements pour la plupart largement amortis, qui produisent comme les tirelires du cash et du profit, avec ce bien naturel commun qu’est l’eau… » Les entreprises visées n’ont sûrement pas apprécié.
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