La décentralisation fut un moment de respiration démocratique, une promesse de confiance entre la République, les territoires et les citoyens. Quarante ans plus tard, cette promesse s’est affaiblie : l’imaginaire collectif s’est étiolé, la puissance d’agir locale s’est amoindrie.
Alors que le Premier ministre entend ouvrir un nouveau cycle de réflexion sur la décentralisation, nous avons souhaité contribuer en affirmant quelques idées simples et éprouvées issues du terrain, pour rappeler qu’elle est avant tout une méthode vivante : partir des besoins des citoyens, et afficher une conviction forte — c’est par l’innovation locale, l’expérimentation concrète et la confiance redonnée aux territoires que pourra s’ouvrir un nouvel acte de la décentralisation.
Une décentralisation qui part des besoins et fait confiance aux territoires
Au Conseil départemental de la Nièvre, en dépit de l’absence de leviers fiscaux et dans un contexte d’asphyxie budgétaire, nous prenons ce parti pour innover et expérimenter. La démarche Imagine la Nièvre, qui a associé plus de 5 000 nivernais à la construction des politiques publiques départementales, en est l’illustration. Conçue non comme une simple consultation, mais comme une véritable fabrique collective — grâce à un dialogue direct avec les citoyens — elle a permis de reconnecter l’action publique au vécu et de faire émerger des solutions concrètes. Le Conseil départemental y a conquis une compétence démocratique.
L’initiative Territoires zéro chômeur de longue durée en est un exemple majeur : en redonnant une utilité sociale et une dignité professionnelle, elle établit un droit à l’emploi pour des centaines de personnes qui en sont durablement privées.
Le Plan Santé Nièvre incarne la même logique de coopération : il ne s’est pas limité à ouvrir des centres de santé, mais a organisé une chaîne complète de réponses — équipes pluridisciplinaires salariées, bourses d’études en santé contre installation, solutions de mobilité, partenariat avec Médecins Solidaires.
Des initiatives comme Rungis rural, pour relocaliser l’alimentation, ou Mieux Vieillir, pour inventer de nouveaux modèles d’habitat et d’accompagnement, complètent cette éventail d’actions.
Ces expérimentations, souvent modestes mais profondément transformatrices, témoignent de la capacité d’un Département rural à devenir un laboratoire de solutions publiques. La décentralisation a perdu de sa vitalité lorsque les politiques contractuelles entre l’État et les collectivités ont été délaissées. Les grandes étapes qui l’ont faite avancer avaient instauré un dialogue fécond entre l’État et les territoires. Cette dynamique s’est étiolée, remplacée par une logique d’appels à projets où la compétition a supplanté la coopération.
L’urgente réinvention des politiques contractuelles
Retrouver cet esprit contractuel, c’est renouer avec une planification partagée fondée sur la confiance, la stabilité et la clarté des engagements. L’État pourrait en être le stratège et le médiateur ; le Département et les collectivités, les partenaires coresponsables d’une action publique co-construite.
Nous proposons de refonder cette politique contractuelle autour d’un socle clair : une planification partagée, fondée sur la confiance et la stabilité des engagements ; un agenda national quadriennal de négociation entre l’État et les collectivités ; la création d’un Observatoire citoyen par département, copiloté par l’État et les collectivités, pour évaluer et rendre compte des politiques publiques. Pour réussir concrètement, une Conférence départementale de coopération entre l’État et les collectivités locales, réunie à échéance régulière, dotée d’une capacité d’arbitrage et d’un ordre du jour limité aux politiques partagées
Cette « Constitution de l’action locale » contribuerait à restaurer une logique de confiance, de coresponsabilité sous le regard des citoyens. Ce nouvel élan contractuel devrait aussi s’appuyer sur une réflexion partagée autour de la « bonne échelle » d’action publique. Plutôt que de sanctuariser les frontières de compétences, il s’agit de rechercher les convergences, de favoriser les coopérations et d’organiser la complémentarité des acteurs.
Réaffirmer le rôle du Département au cœur des solidarités
La République tient d’abord par ses solidarités : c’est la mission cardinale du Département.Mais les politiques qui touchent au quotidien des citoyens – enfance, autonomie, insertion, grand âge – se heurtent aujourd’hui à une double crise : celle des moyens et celle du sens.
Réarmer les solidarités suppose de repenser leur gouvernance et d’en restaurer la cohérence. Le Département doit pouvoir jouer pleinement son rôle de chef de file des solidarités, en fédérant les acteurs autour d’objectifs partagés.
Nous proposons la création de conférences locales des solidarités, réunissant régulièrement les partenaires institutionnels, associatifs et professionnels. Elles deviendraient des outils de coordination et de régulation partagée.
Rien ne sera possible sans des engagements durables de l’État et des ressources locales pérennes et dynamiques, garantissant une réelle autonomie financière.
La Nièvre ne prétend pas être un modèle, mais elle veut demeurer un territoire d’expérimentation et d’innovation et souhaite participer pleinement à ce nouvel élan décentralisateur, fidèle à l’inspiration de François Mitterrand.
« La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire ; elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. »
C’est dans cette alliance entre l’État stratège, les collectivités partenaires et les citoyens acteurs que pourra s’écrire un nouvel acte de la décentralisation et se dessiner les contours d’un nouvel imaginaire démocratique.
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