Il ne m’appartient pas de commenter les décisions de justice, mais les faits sont là, nombre d’élus sont renvoyés devant des juridictions correctionnelles dans une totale incompréhension, protestant de leur innocence et de leur bonne foi. Il y a quelques jours encore, une présidente de chambre amenée à juger au nom du Peuple français s’est heurtée aux dénégations sincères et au sentiment de profonde injustice d’un président de Département, dont elle reconnaissait par ailleurs le parcours exemplaire et l’engagement d’une vie au service de l’intérêt général.
Manque de confiance dans les décideurs publics
Ce ressenti des élus, d’être parfois trahis par des institutions qu’ils servent au mieux de leurs moyens, pose la question de la confiance, question qui taraude notre société française en recherche de stabilité. Confiance dans le gouvernement mais, plus généralement, confiance dans les décideurs publics qu’ils soient élus nationaux, locaux ou fonctionnaires en position d’autorité. Le décideur public aujourd’hui plus que jamais sait qu’il ne lui est a priori fait aucun crédit, ni de son désintéressement, ni de sa bonne foi.
Paul Valéry dénonçait « les sages assis qui jugent les acrobates », et les élus sont de ces funambules exposés au vent de toutes les critiques. Car il faut des convictions ancrées pour exercer des fonctions électives aujourd’hui quand on mesure la force de cette présomption négative, la complexité du champ normatif, les injonctions contradictoires comme les procès d’intention, voir les procès tout court.
Au risque de la tétanie, il faut prévenir les atteintes à la probité mais en sécurisant les décideurs publics.
Il ne suffit plus d’être de bonne volonté et de ne rechercher en conscience que l’intérêt supérieur de ses mandants pour être assuré de ne pas voir sa responsabilité pénale questionnée. La rugosité inhérente à la vie politique, particulièrement depuis que les réseaux sociaux ont pris l’importance que l’on sait, fait que la femme ou l’homme politique est exposé à la calomnie. Mais, même s’il est parfaitement exemplaire, il l’est donc également à la mise en cause pénale, à l’enquête de police et au tribunal correctionnel.
Une insécurité juridique permanente
Outre l’aspect humain, car il est difficile de s’impliquer en toute intégrité dans la vie publique avec en suspens la menace d’une possible condamnation infamante, l’état de notre droit pose question pour l’efficacité de l’action publique. La situation d’insécurité dans laquelle l’élu local est placé peut l’inciter, consciemment ou inconsciemment, à une trop grande prudence, voir à une forme de tétanie. Le décideur placé sur la sellette n’est plus en position de trancher. Il est incapable d’arbitrer faute de pouvoir apprécier les conséquences, pour soi mais aussi pour sa famille, de ses choix. L’immobilisme peut alors prendre le pas sur la volonté de porter un projet, et la machine administrative tributaire de l’impulsion politique s’ankylose et se calcifie.
C’est donc la question de la capacité à agir qui est posée, alors même que nos concitoyens veulent plus que jamais des réponses rapides et de l’agilité. Je le répète, la crise qui touche notre démocratie est une crise de confiance, confiance en nous-mêmes, confiance dans la capacité des décideurs publics à faire, à changer concrètement les choses, à tenir les promesses, à améliorer de façon tangible et rapide le quotidien et, finalement, à avoir prise sur le réel. Pour renouer le pacte républicain, il faut que la culture du résultat tangible prenne le pas sur celle des annonces, que l’action publique soit de nouveau efficace et perçue comme telle par nos concitoyens.
Il faut s’en donner les moyens, sans remettre en cause la nécessité d’un cadre strict pour prévenir les atteintes à la probité et les réprimer sévèrement. L’article 15 de notre Déclaration des droits de l’homme dispose d’ailleurs justement que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration». Mais il faut veiller à ce que l’arsenal juridique, contraignant à l’excès, ne soit pas pire que le mal qu’il prétend combattre.
Le statut de l’élu comme solution
Ce diagnostic a été très bien posé dans le rapport du conseiller d’état Christian Vigouroux rédigé à la demande du premier ministre « Sécuriser l’action des autorités publiques dans le respect de la légalité et des principes du droit ». Ses préconisations, notamment pour limiter le champ d’un délit de prise illégale d’intérêt attrape-tout, ont été reprises dans la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local actuellement en discussion au Parlement. Avec les autres associations d’élus, nous avons soutenu ce travail qui revient en deuxième lecture à l’Assemblée nationale et qui doit désormais aboutir rapidement. Pour que les décideurs publics ne puissent plus être mis en cause quand ils portent concomitamment plusieurs intérêts publics mais aussi, plus généralement, quand ils sont de bonne foi.
Même si l’opinion publique ne le perçoit pas toujours, les élus locaux ont l’intérêt général chevillé au corps, ils exercent leurs missions avec un engagement et un désintéressement total. Faisons-leur et faisons nous confiance pour retrouver le chemin de l’action, sans naïveté mais sans cynisme. C’est ce qu’attendent nos concitoyens et ce qu’exige la situation du pays.
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