Le Premier ministre Sébastien Lecornu ne manque jamais une occasion de rappeler qu’il est avant tout un élu local. Ses discours de politique générale au Parlement en témoignent, et la deuxième mouture de son gouvernement, dévoilée le 12 octobre, en porte clairement la marque.
Sur les 34 ministres que compte cette nouvelle équipe, une ribambelle de figures issues des territoires ou avec une grande expérience d’élus local ont fait une entrée remarquée : Vincent Jeanbrun, Françoise Gatel, Anne Le Hénanff, Philippe Tabarot… Parmi eux, deux présidents d’associations d’élus locaux : Sébastien Martin (Intercommunalités de France) et Michel Fournier (Association des maires ruraux de France). Autant de profils censés incarner une République au plus près des Français.
Ce choix politique ne tombe pas du ciel. Comme le souligne Victor Delage, fondateur et directeur général du think tank Institut Terram, « la France traverse aujourd’hui une double crise de la représentation, politique et médiatique, qui abîme les fondements de la démocratie représentative ».
Les trois quarts des citoyens disent ne plus se sentir représentés, ni par les responsables politiques, ni par les médias nationaux, perçus comme éloignés de leur quotidien. « Cette fracture de la représentation traduit un sentiment plus profond de dépossession, l’impression que les lieux où se décident les grandes orientations du pays ne parlent plus la langue de la vie ordinaire », ajoute-t-il. Donc selon lui, ce « retour en force des élus locaux » traduit la volonté de l’Etat « de retisser une légitimité territoriale après plusieurs années d’ultra-verticalisation du pouvoir ».
Besoin de proximité
Autrement dit, ces nominations répondent à une attente de proximité. Mais, prévient Victor Delage, « la difficulté sera de transformer ce symbole en véritable mouvement de décentralisation », dans un modèle français où « la culture administrative et budgétaire reste profondément centralisée ».
Sur le terrain, en tout cas, l’arrivée de ces élus locaux est globalement bien accueillie. Sébastien Miossec, président délégué (PS) d’Intercommunalités de France, y voit « une occasion de relayer en circuit court les préoccupations des collectivités locales sur le PLF 2026 ».
Pour Gil Avérous, président (DVD) de Villes de France, « c’est la garantie que le gouvernement ne va pas pondre des dispositifs complètement déconnectés des réalités locales et de discuter avec des interlocuteurs qui ont l’habitude de la négociation et du consensus ».
Un volontarisme gouvernemental à l’épreuve de Bercy
Mais ce volontarisme risque de vite se heurter à un mur bien connu : Bercy. En effet, dans un contexte budgétaire sous haute tension, où le projet de loi de finances pour 2026 est jugé particulièrement sévère par les collectivités, une question demeure : ces ministres, pourtant ancrés dans les territoires, auront-ils réellement les coudées franches ?
« Le problème, c’est Bercy. Quand le seul cap du gouvernement est de réduire les déficits, tous les ministères sont sous sa coupe. Cela fait un moment que la France est gouvernée par Bercy », déplore David Marti, maire (PS) du Creusot.
Ancien ministre des Sports, de la jeunesse et de la vie associative, Gil Avérous se souvient d’avoir lui-même dû batailler face au ministère de l’Economie et des Finances lorsqu’il était au gouvernement. Mais pour lui des marges de manœuvres existent : « Bercy voulait supprimer le Pass’Sport – 50 euros financé par l’Etat pour une licence pour les jeunes de 6 à 13 ans. Si je n’avais pas été un élu local, j’aurais cédé. Mais j’ai tenu bon et arbitré plutôt pour la réduction du nombre de stages du service national universel. On l’a sauvé pour un an… avant qu’il ne disparaisse par la décision de ma successeure, Marie Barsacq. C’était une aberration. Car ces 50 euros économisés, c’est dix fois ce que l’on devra dépenser plus tard, quand certains de ces jeunes se retrouveront dans la rue ou tomberont dans le trafic de stupéfiants », regrette-t-il.
Des clivages politiques toujours présents
Si l’ancrage local est une force, il n’efface pas les clivages politiques. « Le sujet ce n’est pas tellement les nouvelles têtes, c’est de savoir quel projet politique elles portent. Or, le budget 2026 ressemble beaucoup à celui de François Bayrou », estime Gilles Leproust, président (PCF) de Ville & Banlieue.
Un avis partagé par André Laignel, le premier vice-président délégué (PS) de l’Association des maires de France qui n’imagine pas soutenir la politique d’Emmanuel Macron : « Je me souviens en avoir baptisé l’un d’eux l’auxiliaire de vie du macronisme », tacle-t-il en appelant une nouvelle fois à la censure après la présentation du PLF 2026.
Et porter la casquette d’élu local ne signifie pas pour autant partager une vision commune des collectivités. Les débats parfois houleux au Parlement et entre associations d’élus, notamment celles dont les présidents ont rejoint le gouvernement, sur des sujets comme le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) ou le transfert des compétences eau et assainissement, en sont la preuve. Au moment où Sébastien Lecornu promet un nouvel acte de décentralisation d’ici la fin de l’année, Christophe Degruelle, vice-président (PS) d’Intercommunalités de France, reste sceptique et craint plutôt l’immobilisme : « Les grandes avancées en matière de décentralisation ne surviennent que dans des moments politiques très forts. Or, nous sommes en fin de mandat, et dans le contexte politique avec une telle pression, il faudra faire des gestes aux sénateurs », prédit-il.
Des modifications de gouvernance dans les associations d’élus
A court terme en tout cas, les premières répercussions du remaniement gouvernemental se font déjà sentir au sein des associations d’élus. Les changements de gouvernance ont été annoncé par communiqué de presse. À l’AMRF, Michel Fournier, nommé ministre de la Ruralité, s’est mis en retrait de la présidence « pour préserver la neutralité et l’indépendance de l’organisation ». Jean-Paul Carteret, maire de Lavoncourt et jusque-là premier vice-président, assure l’intérim depuis le 20 octobre 2025, épaulé par une gouvernance collégiale réunissant John Billard, Dominique Chappuit et Gilles Noël.
Du côté d’Intercommunalités de France, Sébastien Martin ayant rejoint le gouvernement pour le portefeuille de l’Industrie, c’est le président délégué (PS) Sébastien Miossec et la première vice-présidente (LR) Virginie Lutrot qui prennent le relais pour « garantir la continuité de l’ensemble des missions de représentation et d’accompagnement d’Intercommunalités de France ».
Si quelques voix en interne ont immédiatement regretté une rupture avec l’apolitisme ou la vocation transpartisane revendiqués par ces structures, la majorité des adhérents ont, eux, salué ces nominations.
Reste à savoir si cette adhésion résistera aux débats budgétaires qui s’annoncent particulièrement tendus, avec des ministres issus du monde local tenus de rester loyaux aux choix de l’exécutif.
« C’est le moment ou jamais de faire entendre nos revendications sur le statut de l’élu, la DGF ou encore les aménités rurales. Il vaut toujours mieux être à la table des négociations que de pratiquer la politique de la chaise vide », défend John Billard, secrétaire général (SE) de l’AMRF. Et si l’expérience devait s’avérer décevante, il préfère retenir l’essentiel : « C’est déjà une reconnaissance du travail mené sur la ruralité par l’AMRF, qui a presque triplé son nombre d’adhérents en un mandat. Ce n’était jamais arrivé » En somme, l’important est de n’avoir aucun regret.
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