Dans son célèbre ouvrage, Le contrat social, Jean-Jacques Rousseau précisait qu’ « il n’a jamais existé de véritable démocratie et il n’en existera jamais ». Cela ne nous prive toutefois pas de réfléchir à des améliorations du fonctionnement démocratique de nos institutions. Dans ce cadre, la question de la légitimité démocratique des EPCI à fiscalité propre mérite toute notre attention.
Historiquement, les structures intercommunales s’appuyaient sur une légitimité démocratique « par procuration ». Dans la mesure où elles ont été créées à partir de la libre volonté des communes, elles bénéficiaient de l’onction démocratique communale.
Compte tenu de la montée en puissance de ces structures et du renforcement de leurs compétences, la démocratie intercommunale ne peut plus reposer exclusivement sur les communes. Cette affirmation est d’autant plus vraie que l’association des conseillers municipaux aux travaux de l’EPCI reste, malgré tous les efforts entrepris par le législateur, très imparfaite. 70% des conseillers municipaux du Grand Est non-membres de l’organe délibérant de l’EPCI se sentent insuffisamment associés aux politiques intercommunales. Par ailleurs, le travail des maires dans un relatif consensus à l’échelle intercommunale, s’il présente des vertus, n’en conduit pas moins à une césure avec la population.
Pour une dimension citoyenne
La démocratie intercommunale nécessite ainsi, plus que jamais, de pouvoir s’appuyer sur une dimension citoyenne. Osons franchir ce cap ! Renforçons la participation des citoyens dans la vie démocratique intercommunale ! Les élus du bloc local y sont très largement favorables (85% des conseillers municipaux et 63% des présidents d’EPCI).
Alors abordons tout de suite le sujet qui fâche : l’élection au suffrage universel direct. Un premier pas a été franchi avec l’instauration du fléchage. Mais, très sincèrement, hormis les initiés de la vie politique locale, qui connaît et comprend ce système ? Plus on se rapproche de la base électorale, plus le brouillard s’épaissit autour de ce système de désignation, mis en œuvre depuis 2014 dans les communes de 1 000 habitants et plus. Dans notre travail d’enquête, 42% des conseillers municipaux ne connaissent pas le mode de désignation des conseillers intercommunaux ou apportent une réponse erronée à la question…
Le fléchage ne consiste qu’en une solution low cost. Ce n’est rien d’autre qu’une simple information donnée aux citoyens au moment du vote. Dès lors que l’électeur ne dispose que d’un seul et même bulletin de vote, comment pourrait-il voter en fonction de considérations intercommunales ? Par ailleurs, le fléchage n’incite guère les élus (hormis quelques initiatives locales) à présenter un programme intercommunal à l’occasion des élections municipales. Il aurait été opportun d’assortir au moins le fléchage d’une obligation à évoquer l’intercommunalité dans les professions de foi.
Faire évoluer le statut des EPCI
L’intercommunalité s’est toujours construite pas à pas. Elle a acquis aujourd’hui une maturité politique propice à une évolution de son mode de désignation. Mais celle-ci se heurte systématiquement à un autre obstacle : le statut des EPCI à fiscalité propre.
Avec la montée en puissance d’une logique intégratrice et supracommunautaire, les structures intercommunales s’éloignent de plus en plus des principes inhérents à tout établissement public. La transformation des EPCI en collectivité territoriale va dans le sens de l’histoire. 58% des conseillers municipaux et 71% des présidents d’EPCI sont favorables à une telle évolution.
Sur le plan juridique, cette transformation ne serait de loin pas irréalisable, puisqu’une loi ordinaire suffirait. Sur le plan politique, d’aucuns y voient une boîte de Pandore qui causerait bien des déboires aux communes. Mais le précédent de la création de la collectivité régionale montre qu’une telle transformation n’implique pas nécessairement la disparition de l’échelon territorial inférieur.
Recomposer le bloc local
Les communes pourraient être pérennisées sous un autre statut (ville/village, commune déléguée, arrondissement) et confortées dans leur fonction d’échelon de proximité, d’ancrage et de convivialité. En quoi le sentiment affectif des citoyens à l’égard de leur commune serait-il affecté par un changement de statut juridique ?
Réfléchir à la démocratie intercommunale conduit ainsi nécessairement à s’interroger à une recomposition du bloc local. Et si la solution passait par une accélération du processus de fusion des communes et de création de communes nouvelles ? Comment justifier d’ailleurs, en 2025, que la France possède encore à elle seule 40% des communes de toute l’Union européenne ? Dès lors que les communes atteindraient une taille critique, serait-il encore nécessaire de procéder à des transferts de compétence massifs aux intercommunalités ? Or, ce sont justement ces transferts qui sont à l’origine du déficit démocratique des EPCI.
Les deux solutions évoquées ci-dessus (statut d’EPCI aux collectivités ou développement des communes nouvelles) ne représenteraient en rien une menace pour nos communes. De telles évolutions pourraient, au contraire, apporter à la commune un souffle nouveau dont elle a tant besoin aujourd’hui, confrontée à des défis financiers majeurs, à une baisse de l’engagement municipal et à une technicité accrue des compétences requises dans la gestion municipale.
Vers une meilleure démocratie intercommunale
D’autres propositions plus innovantes pourraient également être avancées en faveur d’une meilleure démocratie intercommunale, telles que la mise en place d’un fédéralisme administratif bicaméral qui permettrait d’asseoir la gouvernance intercommunale sur ses deux composantes, communale et citoyenne. Soit le maintien du fléchage associé à une instance citoyenne de type conseil de développement. Soit, à l’inverse, une élection au suffrage universel direct sans fléchage associée à une instance de type conférence des maires.
Et que penser de la proposition, déjà ancienne mais toujours audacieuse, d’élire le Président de l’intercommunalité au suffrage universel direct ? A structure atypique, solution atypique ! Un tel système, bien loin des standards représentatifs français, permettrait de démocratiser davantage les structures intercommunales, tout en préservant le lien fondamental qui unit ces dernières aux communes.
Enfin, nous pouvons rappeler que la démocratie ne se confond pas à la seule question du suffrage universel direct et de l’élection. Aussi importe-t-il que la démocratie intercommunale puisse continuer de vivre tout au long de la mandature à travers les divers dispositifs participatifs intercommunaux existants (consultation intercommunale, conseil de développement et autres instances consultatives, budget participatif, jury citoyen…).
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