« Rentabilité ? C’est un mot que je n’emploie jamais ! » répond presque instinctivement ce maire d’une commune de 15 000 habitants. Comme le soulignent 84 % des agents territoriaux interrogés, le service public, déficitaire par nature, n’a pas vocation à être rentable et c’est même ce qui le définit selon le Conseil d’Etat. Pourtant, si ce terme reste encore très largement tabou dans les collectivités, on y emploie volontiers tout un champ lexical connexe : coût du service, investissement performantiel, retour sur investissement, efficience, tarifications, etc. Une nouvelle réalité portée par des arbitrages budgétaires devenus incontournables avec la baisse des dotations.
Coût de fonctionnement au premier plan
L’époque du maire qui menait sa politique sans un œil sur le budget semble bien révolue au profit d’un pilotage financier fin, souvent assuré par le directeur financier. La rentabilité – c’est-à-dire la faculté d’un investissement à dégager un résultat ou un gain – s’invite donc au premier plan, au côté des considérations politiques, sociales ou d’attractivité du territoire. L’objectif n’est pas, bien sûr, de rentabiliser les services publics obligatoires, comme l’état civil, l’urbanisme, la voirie, la sécurité, mais plutôt d’arbitrer en connaissance de cause entre deux investissements facultatifs dans la culture, le développement économique, le sport, le tourisme ou la mobilité.
« Parler de rentabilité d’un service public n’est pas dans la culture française, qui met beaucoup en avant les externalités positives non quantifiables », note Thomas Eisinger, directeur adjoint à la direction des finances et du contrôle de gestion de la région Provence – Alpes – Côte d’Azur. Pour autant, Pierre Breteau, associé chez KPMG « secteur public », a constaté une inversion des valeurs ces dernières années : « Avant, c’était la capacité d’investissement qui était primordiale ; désormais, c’est le critère du coût de fonctionnement qui l’emporte. »
Gare aux effets d’éviction
La rentabilité permettra d’arbitrer en faveur de l’investissement qui aura le moins d’impact sur les dépenses de fonctionnement à court, moyen et long termes. Certaines collectivités renoncent donc à des investissements trop coûteux, réduisent la voilure de services pas assez rentables ou décident de fermer des activités trop déficitaires. D’autres préfèrent jouer sur la tarification pour sauvegarder certains services ou en améliorer la rentabilité. Mais attention aux inévitables effets d’éviction sur les usagers !
Enfin, des collectivités, encore peu nombreuses, se lancent avec succès dans des investissements productifs générant des recettes, notamment dans le domaine du développement durable.
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Des services publics à deux vitesses
Des collectivités réinterrogent le périmètre de leurs missions à l’aune de la rentabilité financière. Les prestations de base restent gratuites donc à la charge du contribuable, tandis que celles dites « premium » sont à la charge de l’usager afin de ne rien coûter à la collectivité. Un modèle appliqué notamment aux piscines, crèches et centres des congrès.
Des directions des finances trop puissantes ?
La baisse des dotations a conféré un poids prépondérant aux directions financières. Chiffres, graphiques et ratios sont devenus des outils très efficaces pour limiter le champ des possibles des élus dans le seul but de préserver la santé financière de la collectivité. Quitte à aller trop loin ? « Il arrive fréquemment qu’une direction financière nous commande une étude d’impact, dont le but non officiel est de torpiller telle promesse du maire, jugée trop dépensière ! » confie ainsi un consultant.
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Cet article fait partie du Dossier
Rentabilité du service public : la fin d'un tabou
Sommaire du dossier
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