Delphine Picard, élève ingénieure en chef, promotion Wangari Muta Maathai et Benoît Vernière, élève ingénieur en chef, promotion Wangari Muta Maathai
Nous vivons la fin d’un système et l’aube d’un nouveau (1). Les transitions numériques et écologiques remettent en question les modes de vie, mais aussi les politiques publiques, singulièrement l’aménagement territorial. Les dirigeants territoriaux doivent s’imprégner de ces changements pour interroger leurs pratiques et prendre la mesure de leurs responsabilités. Au-delà des grands défis d’adaptation au changement climatique et de transition énergétique, la transition sociétale est la clé.
Ainsi, le vieillissement de la population amène quatre générations à cohabiter dans la ville : aménager nécessite de répondre aux besoins différents de ces générations de façon simultanée. Par ailleurs, l’usage accru du numérique amplifie une tendance à l’individualisation et transforme profondément la notion de débat et même de ville. D’autre part, l’émergence forte des émotions dans la politique ainsi que l’importance du numérique et des images modifient radicalement les modes de conception et de mise en œuvre des politiques publiques. Enfin, l’accélération temporelle dans notre société conduit souvent à une perte de sens et les sentiments d’inégalités progressent : ces phénomènes doivent interroger les modes d’action des collectivités à tous les niveaux.
La compréhension de ces changements est essentielle pour éviter les politiques anachroniques. Les cadres territoriaux doivent faire preuve de recul, de partage avec leurs équipes pour faire le tri entre ce qui est permanent et évolutif, important et secondaire, et pour éviter une désorganisation des services générée par la tendance actuelle aux réponses immédiates.
Plus généralement, la force naît de systèmes d’alliances entre territoires (métropole et espace rural, par exemple) plutôt que de concurrences. Les innovations nécessaires pour la transition écologique, au-delà de la mobilisation des élus et des services, passent par des coopérations entre collectivités, des négociations « sincères » permettant de développer des partenariats fructueux. La construction de la ville reste un projet politique, arrimé à un projet de société : il est donc nécessaire de s’adresser aux habitants en tant que citoyens et non comme de simples usagers.
Les changements à l’œuvre font ressortir le rôle à tenir par les collectivités : définir et avancer dans une direction afin de garantir le temps long (les opérateurs économiques restant sur un temps court). Les modèles plus collaboratifs doivent émerger à toutes les échelles, pour un projet de territoire comme pour une opération d’aménagement, en permettant des expérimentations. Alors que la tendance forte des dernières années a été la densification des cœurs de ville, il apparaît aujourd’hui essentiel de réparer ce qui a été mal fait et d’agir là où les ressources se dégradent (comme les lotissements dont la qualité fait défaut), ce qui nécessite d’expérimenter largement.
La compréhension sociologique de la ville doit s’accompagner d’une expertise technique et financière, pour construire sans anachronisme la ville de demain.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Cet article se base sur une table ronde portant sur le développement territorial, organisée à l’Inet le 19 novembre 2019, avec Hélène Peskine, secrétaire permanente du Plan urbanisme construction architecture (Puca), Anne Pons, directrice générale de l’Agence de développement et d’urbanisme de l’agglomération strasbourgeoise (Adeus) et Eric Bazard, directeur général de la société publique locale des Deux-Rives. Retour au texte