En décembre 2022, confronté à de graves irrégularités dans la gestion des marchés publics de l’Agglomération et des finances de la Société Publique Locale (SPL) des Ports de Menton, je saisis le Procureur de la République en application de l’article 40 du Code de Procédure Pénale (1).
Le Défenseur des droits, dans son avis du 18 février 2025, ainsi que la Maison des Lanceurs d’Alerte, ont reconnu mon statut légal de lanceur d’alerte, ouvrant droit aux protections prévues par la Loi. Pourtant, malgré deux ordonnances de référé exigeant ma réintégration, et une décision du Conseil d’État du 22 mai 2024, les déclarations publiques du maire de Menton en conseil municipal rendent toujours inapplicables ces décisions de justice.
La loi existe, les protections aussi, mais leur application reste lettre morte.
Les lacunes de la loi Waserman
Adoptée le 21 mars 2022, la loi Waserman a représenté un progrès notable en matière de protection des lanceurs d’alerte. Elle clarifie leur statut, élargit la définition de l’alerte et complète le dispositif initié par la loi Sapin II de 2016. Sur le papier, c’est un tournant. Mais trois ans après, le bilan est amer. Les textes sont là, les mécanismes existent, mais leur application est largement défaillante. Trop souvent, les autorités compétentes tardent à reconnaître les signalements, les procédures sont longues, et les mesures de protection prévues n’empêchent ni les mises à l’écart, ni les sanctions déguisées. Le statut de lanceur d’alerte devient une étiquette impuissante face à des institutions qui, dans les faits, continuent d’isoler celles et ceux qui osent parler.
Force est de constater que les cas se multiplient : des agents publics, des cadres, des salariés du privé — tous ayant dénoncé des malversations, des conflits d’intérêts ou des détournements de fonds — ont vu leur vie professionnelle et personnelle brisée. Et ce, malgré des décisions de justice favorables, malgré leur reconnaissance officielle comme lanceurs d’alerte. Intimidations, licenciements, précarité : la machine institutionnelle semble broyer celles et ceux qu’elle aurait dû protéger.
Selon les données de plusieurs associations de soutien, 87 % des lanceurs d’alerte subissent des représailles graves : sanctions disciplinaires, procédures abusives, harcèlement. Et 62 % d’entre eux ne retrouvent pas d’emploi stable avant trois ans. Le constat est clair : loin d’être des héros célébrés, les lanceurs d’alerte restent les oubliés d’un système qui protège davantage ses dysfonctionnements que ceux qui les révèlent, terrain fertile pour la corruption.
De nouvelles mesures prioritaires
Pourquoi la loi ne suffit-elle pas ? Elle ne prévient ni les abus, ni la souffrance. Elle protège « après coup », une fois que les représailles ont eu lieu, que les carrières ont été brisées et les personnes isolées. Le Défenseur des droits, pourtant acteur central du dispositif, est cruellement sous-doté en moyens humains et financiers. Le soutien psychologique, juridique ou matériel prévu par les textes est trop souvent inaccessible ou symbolique. Les procédures sont longues, coûteuses, épuisantes. Enfin, l’absence de sanctions dissuasives envers les auteurs de représailles institutionnalise l’impunité. Tant que les donneurs d’alerte resteront seuls face à des machines administratives puissantes et opaques, la Loi restera un cadre inapplicable.
Pour que la situation évolue favorablement, plusieurs mesures prioritaires doivent être adoptées. Elles sont portées par des collectifs citoyens et juridiques dans la pétition « Pour une véritable protection des lanceurs d’alerte » :
- Créer un guichet unique de reconnaissance rapide : un point d’entrée national unique, doté d’un délai légal de traitement inférieur à 30 jours, pour éviter les lenteurs et les incertitudes actuelles.
- Instaurer un statut d’immunité professionnelle : interdire tout licenciement, mise à l’écart ou rétrogradation d’un lanceur d’alerte reconnu. Ce statut devrait offrir une protection comparable à celle des représentants syndicaux.
- Mettre en œuvre automatiquement les aides prévues par la Loi : soutien psychologique, aide juridictionnelle renforcée, assistance financière en cas de perte de revenus, en donnant des moyens au Défenseur Des Droits.
- Instaurer une autorité indépendante de suivi et de sanction : dotée de pouvoirs contraignants — suspension d’un supérieur fautif, injonction de réintégration, sanctions financières contre les employeurs récidivistes, inéligibilité des élus fautifs.
- Valoriser le rôle civique des lanceurs et réparer les préjudices : reconnaître leur engagement dans le droit public, leur offrir des voies de reclassement prioritaire et assurer une indemnisation automatique du préjudice moral et professionnel subi.
Une démocratie ne peut pas survivre sans contre-pouvoirs vivants. Les lanceurs d’alerte sont les sentinelles de la probité publique. Les abandonner, c’est faire le choix du silence et de la peur.
Chaque alerte non protégée fragilise un peu plus la confiance dans nos institutions. Chaque lanceur isolé est une voix de moins pour la transparence. Il ne suffit pas d’avoir une Loi : il faut des moyens, des sanctions, et un réel engagement politique. Protéger les lanceurs d’alerte, c’est affirmer que la République n’a rien à cacher — et qu’elle tient debout grâce à ceux qui refusent de se taire.
Domaines juridiques
Notes
Note 01 L'article 40 du Code de Procédure Pénale stipule : Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. Retour au texte