Souvenez-vous ! Le nouveau monde nous avait été promis… Une nouvelle page de l’histoire de France devait s’écrire dans la liesse et l’espoir d’un lendemain qui chante… Une France où le clivage gauche-droite, jugé désuet, serait révolu tant il ne correspondait plus à l’aspiration moderne du peuple. Une France où la politique ne serait plus exercée comme un métier mais accomplie comme une vocation, accessible à tous et au service de tous. Une France où une nouvelle génération d’élus, plus jeunes, plus diverses et issue de toutes les catégories sociales verrait le jour, jetant définitivement aux souvenirs du passée la professionnalisation de la vie politique. Une France où les Lumières de l’esprit et de la volonté d’âme anéantiraient à coup sûr les forces ténébreuses du racisme, de l’antisémitisme, de l’islamophobie, de l’homophobie et des discriminations. Du haut de la pyramide du Louvres, ce nouveau monde nous avait été promis.
Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître
La promesse a vécu. Force est d’observer que « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Gramsci ne s’était pas trompé. Issu d’un milieu pauvre, élève particulièrement brillant, il sera, comme les membres de notre association d’élus aujourd’hui, préoccupé par la question de l’unité de son pays. Mais l’Italie du tout début du XXe siècle n’est pas la France contemporaine. La mondialisation, les nouvelles technologies, le régime politique et les institutions, le contexte de l’époque… Tout ou presque diffère de ce jour. Comparaison n’est donc pas raison, certes. Toutefois, chacun s’accordera à dire que se creusent, ici et inexorablement, les inégalités profondes de notre société. Et plus inquiétant encore, se dessine sur des murs toujours plus haut, l’ombre brune du monstre…
Le politique ne rassure plus, il déçoit. Entre ceux qui bordélisent et ceux qui stigmatisent, au centre serpente une rivière qui ne sait plus où elle va… Le spectacle est navrant et la responsabilité collective. Quand une démocratie est malade, selon Camus, la bête ne se rend pas à son chevet pour prendre de ses nouvelles… Elle se réjouit et prospère sur ses fractures.
Et dans ces périodes de grandes incertitudes, où les principes élémentaires qui fondent la vie en société sont sans cesse questionnés par des biais cognitifs. En ces temps troublés où les valeurs humaines fondamentales vacillent sous le coup d’une individualisation criante et galopante, notre pays pleure sans que nous n’en percevions les larmes. Sans doute, l’opacité aveuglante du clair-obscur, nous y sommes…
« Nous sommes la petite République dans la Grande »
Nous y sommes dans cet état qui abaisse le discernement et réhausse les radicalités. Nos repères sont bousculés jusqu’à devenir illisible : la famille, troublée entre les contingences du passé et les injonctions du présent, n’est plus un standard de la pensée et reste bien moins incarnée… Le genre, lui aussi interrogé, harcelé, au point de créer une troisième, une quatrième voie inattendue, imperceptible à la raison et à rebours de l’histoire naturelle. A d’aucuns, la certitude du genre n’est plus. Et l’identité ? Facteur de cohésion et d’humanité, devenue instrument de division au nom du patriotisme et des nationalismes. A d’aucuns, elle sert désormais de paravent pour exciter les foules enclines à raciser pour mieux ostraciser. Même la paix, principe universel, consistant à préserver l’humanité souffre, dans la poussière et le sang, des guerres de civilisation, de religion et d’appropriation. La confusion règne et qui pour distinguer la foi du fanatisme ? la liberté de l’obscurantisme ? L’égalité de l’équité ? L’axe du mal à celui du bien ? Avec moi ou contre moi, le manichéisme ne supporte pas les contrastes. La fraternité se cherche et se perd dans des intérêts contradictoires.
Dans cette pénombre, nous autres élus locaux, ne savons que trop bien identifier les maux qui préparent au pire. Dans les travées d’un marché et à chaque poignée de main ; Dans les réunions publiques et pour chaque bras qui nous interpelle ; Dans les courriers et à chaque ligne de récriminations. Au détour d’une rue et à chaque heure du jour ; Et pour chaque astreinte, au milieu de la nuit, lors d’un sommeil déraciné ; Nous sommes ancrés dans la réalité d’une peinture contrastée avec ses zones sombres et ses reliefs. Nous sommes aux carrefours des humeurs et des sentiments, en prise avec les fantasmes et les peurs, les colères et les chagrins, la division et la suspicion. Le rejet de l’autre, l’intolérance, l’absence de nuances… La bête n’est jamais loin !
Mais parce que le clair-obscur reste un état intermédiaire, il y demeure une clarté persistante et la volonté d’un jour meilleur. Et ce sont les élus locaux qui en sont désormais les flambeaux. Je veux croire, par leurs engagements, leurs soucis permanent du bien-être de leurs habitants, qu’ils sont ce phare dans la noirceur de la nuit et le tumulte des tempêtes. Ils rassurent et ils guident. Malgré les démissions, les renoncements et les fatigues, ils sont encore nombreux à poursuivre l’utilité. Plus de 530 000 maires et conseillers municipaux, dans leur écrasante majorité bénévole, sans aucune indemnité.
Tous animés d’une volonté farouche de protéger et défendre le quotidien de nos villes et nos villages, sans jamais opposer nos bourgs à nos cités. Ils sont un repère stable et fiable pour chacun de nos administrés qui, s’ils les rendent, certes, responsables de tout et innocent de rien, restent profondément attachés à la fonction et à l’action locale. « Nous sommes à portée de baffes » disait Gérard Larcher et d’ajouter sitôt après « Nous sommes la petite République dans la Grande. » Oui, l’Etat c’est le peuple. Et le peuple, c’est nous !
Hussards de la République aux avants postes
Ce sont ces hussards de la République qui incarnent la promesse républicaine, partout et pour tous. Ce sont ces besogneux et passionnés, attachants et dévoués, présents sur tous les fronts avec pour seule dessein, la volonté de faire bien. Premiers de cordées quand il s’agit d’écouter, comprendre, soutenir et accompagner nos concitoyens. Mais n’attendez pas d’eux qu’ils réussissent, assurez-vous qu’ils essaient… Premiers de tranchée quand il s’agit de trouver les voies d’une coexistence pacifique et harmonieuse dans la cité. Mais n’attendez pas d’eux une victoire, exigez qu’ils se battent… Au cœur des crises, ils répondent présents. Attentats, ouragans, inondations, mouvements sociaux… Ils sont aux avants postes.
Confronté à la violence du quotidien, dont ils sont victimes ou témoins, ils ne baissent pas les bras. Harassés mais jamais terrassés, nos élus locaux méritent la considération. Et lorsque d’aucuns Maires affirment que l’amour et la reconnaissance sont à chercher en dehors de l’engagement politique, je veux croire qu’ils se trompent… L’urne, et ce qu’elle révèle du choix citoyen, en est le témoignage. La démocratie chante les louanges du vainqueur dans son bulletin tandis que le scrutin dépouille les vaincus de leurs enveloppes.
Ne sommes-nous pas heureux lorsque nous permettons un toit, un couvert, un emploi, une subvention etc.. ? Rénover une rue, un immeuble ou un cloché ? Du sport à la culture, de l’éducation à l’insertion, ne sommes-nous pas heureux de nous affairer, sous les encouragements, aussi clairsemés soient-ils, de nos administrés ? N’est-ce pas de cette énergie dont nous avons besoin pour satisfaire notre besoin d’utilité ?
En ces temps troublés, disons-le : dans nos mairies, ou nul n’a besoin d’une invitation, d’une pièce d’identité, ou d’un laisser passer pour franchir le seuil de l’Hôtel de Ville, il sera bon de nous retrouver, en la maison du peuple, et nous assurer que la clarté est toujours plus forte que l’obscurité.
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