C’est grave docteur ? Le diagnostic dressé par l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) est pour le moins paradoxal : elle « anticipe que les collectivités limiteront leur dépenses d’investissement en 2024 dans un contexte macroéconomique affaibli et marqué par une inflation toujours élevée » alors que « la performance budgétaire restera résiliente » pour chaque niveau de collectivité, excepté peut-être pour les départements dont les investissements sont structurellement minorés par leurs dépenses d’intervention, notamment sociales.
Pour S&P, les recettes fiscales vont rester « dynamiques » en 2024 et 2025 et l’inflation va ralentir, « atténuant la pression » des dépenses de personnel et d’énergie sur les comptes locaux. Mieux, elles devraient également être en mesure « d’absorber la hausse des taux » compte tenu de la structure de sa dette, rigidifiée par un stock constitué à 75 % d’emprunts à taux fixe.
Elles auront donc toujours « des conditions de financement favorables » et devraient poursuivre leur désendettement au vu de l’évolution plus rapide des recettes par rapport à leur stock de dette. S&P prévoit d’ailleurs que la hausse des coûts de refinancement actuelle « ne devrait pas impacter directement la qualité du coût du crédit des collectivités étant donné que les charges financières restent largement en-deçà des 5 % des recettes de fonctionnement. »
« Solides excédents de fonctionnement »
Les communes, clé de voûte de l’investissement local, qui en portent plus d’un tiers, seraient presque à la fête : « Elles maintiendront de solides excédents de fonctionnement », s’enthousiasme l’agence qui n’a pourtant pas l’habitude de verser dans l’allégresse facile.
Elle perd d’ailleurs vite le sourire avec les départements confrontés à un redoutable effet ciseau entre la hausse de ses dépenses sociales, qui représentent plus de 50 % de leurs dépenses de fonctionnement, et la baisse de leurs recettes en 2023, du fait du recul des DMTO de plus de 22 %.
Toutefois, S&P anticipe de nouveau une hausse des recettes départementales en 2024 et 2025 portée par la progression de la TVA versée en compensation de la perte de taxe d’habitation. Quant aux régions, elles n’appellent pas de commentaires particuliers, toujours solides emprunteuses pour financer une croissance d’investissements d’environ 1,5 milliard supplémentaire entre 2022 et 2025.
Mais si les régions semblent immunisées, le bloc communal et les départements pourraient être, malgré ses plus ou moins bonnes constantes, frappés d’anémie d’investissement sur les deux ans à venir : « Les risques liés à l’investissement restent importants » diagnostique S&P. Pour l’agence, il y a des facteurs objectifs : d’une part l’ampleur des programmes de réhabilitation des bâtiments publics et des infrastructures ferroviaires, « qui exigeront probablement le soutien financier de l’Etat », devance S&P.
D’autre part, elle se méfie aussi « de potentielles réformes non attendues » qui pourraient «contraindre la flexibilité budgétaire des collectivités » et surtout « accroître l’incertitude à moyen terme ». Le mot est lâché. Si les collectivités hésitent aujourd’hui – et potentiellement demain selon les prévisions de S&P – à investir, c’est moins par faiblesse financière que par manque de confiance.
Etat anxiogène
Les responsables sont plus ou moins désignés par l’agence : le marché, jugé « fragile », et l’Etat, porteur de réformes à la Diafoirus, capables de tuer un patient en bonne santé. On craint déjà l’ordonnance du docteur Woerth qui, via sa mission sur la décentralisation, veut se pencher sur le millefeuille territorial, soutenu par les apothicaires de potions amères Le Maire et Cazenave, persuadés de trouver entre les couches du gâteau les milliards qui manquent à l’Etat.
Les respectifs ministres des Finances et des Comptes publics cherchent aussi du côté des absents de la territoriale pour les aider à gratter, en plus des 12 milliards de crédits supprimés au budget 2024 dans le décret publié le 21 février, peut-être une vingtaine de milliards supplémentaires lors du prochain budget, selon les tauliers de Bercy auditionnés le 6 mars devant les parlementaires.
De milliards, « il y en a aussi » peut-être à trouver, comme dirait un acteur populaire dans un film que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître, mais cela mérite-t-il pour autant de miner l’investissement local, appelé à porter l’essentiel de la transition écologique, en brandissant sans cesse l’épée de Damoclès de « l’effort de redressement des comptes publics » au-dessus des têtes locales ? L’époque est suffisamment anxiogène sans qu’on y rajoute un risque diffus en permanence. Les financiers locaux n’ont pas besoin de menaces mais de visibilité sur les montants, les moyens disponibles, les délais, les modes opératoires, les acteurs à mobiliser, les soutiens à attendre, etc.
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