C’est un village de la pointe du Cotentin oublié des pouvoirs publics. En proie à la désindustrialisation, Flamanville vivote à l’ombre de ses falaises. Ancien scaphandrier à la mine, le maire a toutes les peines du monde à boucler son budget, quand, fin 1974, de bonnes fées étatiques se penchent sur son berceau. Dans le droit fil du plan concocté quelques mois plus tôt par Pierre Messmer, les bureaux parisiens décident d’y implanter une centrale nucléaire. A Flamanville, les emplois vont revenir, les équipements publics éclore, ici un collège, là, une salle de spectacle et un centre hippique, rêve tout haut le premier magistrat.
Mais l’édile le sait bien : cette médaille a son revers. Une centrale nucléaire, cela peut aussi être une bombe à retardement. Un discours relayé par un couple de profs écolos et néoruraux, bien vite rejoints par des agriculteurs et des pêcheurs désireux de préserver leur activité. Leur mot d’ordre ? « Des pavés contre l’atome. » Dans le camp d’en face, chez les ouvriers sur le carreau depuis des années, on ne décolère pas. Tous les germes des débats qui agitent la France de 2023 sont déjà là, en cette fin d’année 1974 : fin du monde ou fin du mois ? Jusqu’où faut-il aller dans la sobriété énergétique ? Ce n’est pas la moindre vertu du savoureux et poignant roman de Jérôme Lefilliâtre, enfant du pays monté à Paris pour devenir journaliste à « Libération ». « Les Falaises de Flamanville » sont aussi un bel objet de réflexion autour de la démocratie de proximité. C’est en effet là qu’a été initié l’un des tout premiers référendums locaux. Une consultation territoriale sur un enjeu national : une philosophie qui pourrait encore inspirer bien des maires.
En quoi le lancement de la centrale de Flamanville est-il emblématique des relations qu’entretenaient, dans les années 1970, les collectivités locales et le pouvoir central incarné par le préfet, mais aussi EDF ?
Drapé dans son opacité et son mystère, l’Etat décide. De manière incontestable, verticale et lointaine. Le maire de Flamanville apprend la nouvelle dans le journal. Quelques années plus tôt, quand le pouvoir gaullien implante une usine de retraitement de déchets nucléaires à une poignée de kilomètres de là, à La Hague, dans une lande sauvage et belle, les grands élus sont informés à la préfecture de Saint-Lô. On s’aperçoit, alors, qu’on a oublié de prévenir les maires concernés. Une estafette de gendarmerie sillonne les environs pour les aviser qu’une réunion est organisée, en catastrophe, dans un village…
Souvent moins bien formés qu’aujourd’hui, les élus sont confrontés à une industrie naissante que, par définition, ils ne maîtrisent pas. Leur modestie les incite, à La Hague, à faire confiance aux grands commis de l’Etat qui incarnent la planification industrielle. Mais, au moment de la construction de Flamanville,
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Gazette des Communes