Le pari est risqué, car les normes sanitaires d’une qualité « eau de baignade » sont très strictes. « Cela implique le zéro défaut », nous explique un des experts de l’assainissement (un ingénieur territorial d’une des collectivités impliquées) qui travaille sur ce sujet titanesque, et qui préfère garder l’anonymat (1), seuls les élus semblant être habilités à s’exprimer. Il faut dire que le sujet est devenu très politique, car un échec – c’est-à-dire l’annulation de ces épreuves – serait une claque cinglante pour la maire de Paris, l’État et tout le Comité d’organisation.
⚡️ ALERTE INFO
La promesse est enfin tenue.
Après plusieurs reports, la maire de Paris, Anne Hidalgo s’est baignée dans la Seine, mercredi, vers 10 heures. pic.twitter.com/YASgJqLzVU
— franceinfo (@franceinfo) July 17, 2024
Lutter contre les mauvais branchements
C’est un véritable plan Marshall qui a été lancé en 2016 pour atteindre cet objectif, avec à la clé 1,4 milliard d’euros d’investissements. Quatre axes de travail ont été fixés pour éliminer toute pollution de la Seine :
- prioriser les rejets,
- réduire les mauvais branchements,
- améliorer la gestion des eaux pluviales,
- lutter contre la pollution des bateaux et établissement flottants.
Le plus gros du chantier concerne les réseaux d’assainissement. Le système actuel n’a pas été pensé pour protéger la Seine, bien au contraire : « à l’origine, il fallait rendre les villes plus saines et propres, et éloigner les eaux usées à l’aval de Paris. Entre temps, les populations ont augmenté, et les surfaces imperméabilisées ont explosé, augmentant plus encore le volume des eaux polluées à gérer. Mais le réseau a ses limites », rappelle Franco Novelli, expert technique du cycle de l’eau à la FNCCR.
La ville de Paris et celles de banlieue n’ont d’ailleurs pas le même historique. Dans la capitale, les égouts ont été construits pour récupérer les eaux usées ainsi que les eaux de pluie. Mais ce torrent d’eaux peut saturer le système d’assainissement, si bien qu’il faut utiliser des « déversoirs d’orages » qui envoient alors le mélange d’eaux polluées directement dans la Seine.
En banlieue, c’est au petit bonheur la chance : parfois le réseau est unitaire (tout est mélangé) comme à Paris, parfois il est séparatif (eaux usées et eaux de pluies sont gérées par des tuyaux différents). Le problème, c’est que les branchements des habitations sur le réseau ont parfois été mal faits. On compte en effet des dizaines de milliers de mauvais raccordements, qui envoient les eaux usées dans le réseau d’eaux pluviales (qui part ensuite dans le milieu naturel), ou l’inverse (les eaux de pluies viennent surcharger le réseau d’assainissement). Un vrai bazar.
Difficile de connaitre le nombre exact de ces mauvais raccordements, car ils sont sous terre et difficilement contrôlables. Selon Pierre Rabadan, adjoint à la maire de Paris en charge des sports, des JO, et de la Seine, il y en aurait 25 000 dans la métropole. Un quart d’entre eux aurait déjà été refaits dans le cadre du « plan baignade ». « L’objectif est d’arriver à en résoudre 50% d’ici un an, car les 50% restants ne dégradent pas de manière significative la qualité de l’eau », estime-t-il.
1000 UFC : la norme de qualité eau de baignade est défini par une concentration maximale en Escherichia coli (les micro-organismes indiquant la présence de contamination fécale). Elle doit être inférieur à 1 000 unités formant colonie (UFC) pour 100 ml d’eau.
JO 2024 : un « formidable accélérateur »
Le problème des mauvais branchements est connu depuis longtemps au Siaap. Mais les identifier et les réparer prends énormément de temps. Sauf que… « Avec les JO, tout a changé. Ça a été un formidable accélérateur », s’enthousiasme notre expert anonyme, qui l’impute au portage politique.
Pour Sylvain Rotillon, expert de l’eau passé par la Ville de Paris, l’Onema (devenu l’OFB) ou encore le ministère en charge de l’Écologie, « le monde de l’eau parisien et des services de l’État a vu dans les JO une opportunité d’améliorer la qualité de l’eau de la Seine et d’atteindre les objectifs de la DCE (la directive-cadre sur l’eau, qui demande d’atteindre un bon état écologique des masses d’eau en 2027, Ndlr). Pour une fois qu’on a de l’argent pour la politique de l’eau, se sont-ils dit … Le fait que l’objectif soit difficilement atteignable le Jour J ne les a donc pas gêné ! ».
Rien n’est trop beau pour résorber ce fléau des mauvais raccordements. Certains maires ou présidents d’établissements publics territoriaux (EPT) l’ont bien compris, et se sont retroussés les manches… parfois en échange d’un coup de pouce du préfet pour faire avancer un autre dossier.
Cinq bassins de stockage
Au delà de ce fastidieux travail sur les raccordements, il faut également limiter les rejets par temps de pluie. Cinq réservoirs d’orage sont en cours de construction, dont le bassin d’Austerlitz (48 500 m3, 81 millions d’euros), l’idée étant de stocker ces eaux polluées et de différer leur renvoi vers les stations d’épuration, ou de les traiter avant de les rejeter (avec la construction de la station du Ru de la Lande, à Champigny-sur-Marne). Un collecteur de 8,5 km (le « VL8 ») a aussi été construit pour récupérer les eaux usées de certains réseaux d’assainissement de banlieue et éviter leurs déversements par temps de pluie.
Malgré l’importance de tous ces travaux, il faut se rendre à l’évidence : il sera impossible de faire face à une (éventuelle) pluie importante.
Selon Pierre Rabadan, le système mis en place permettra de contrôler une « pluie à 6 mois » (2). Pour notre expert, « au delà d’une pluie à trois mois, on aura du mal à contenir la pollution ». Dans ce cas, « il n’y a pas de plan B pour l’organisation des épreuves », confirme l’élu parisien, ce qui impliquera de supprimer les épreuves (le triathlon devenant alors un duathlon).
« On a pris le parti de réduire le risque au maximum, de sortir des sites traditionnels, d’ouvrir les épreuves ou la cérémonie d’ouverture au plus grand nombre. Certes, il y a un risque, mais sans cela, on ne peut rien faire d’innovant ou d’exceptionnel », estime-t-il.
Désinfecter les rejets des stations d’épuration
Parmi les autres mesures de ce « plan baignade », il faut noter que le Siaap va désinfecter les eaux usées épurées (pour 13 M€) en sortie des deux énormes stations d’épurations situées en amont du site de baignade (qui est en plein cœur de Paris, au niveau du Pont d’Austerlitz). Les eaux usées de l’usine de Marne-Aval seront désinfectées par ultraviolets, et celles de Seine-Valenton par injection d’acide performique.
Une autre action concerne les bateaux et établissement flottants sur la Seine. Ils devront se raccorder au réseau d’assainissement dans les 7 ports parisiens, d’ici à 2024, et non plus rejeter leurs eaux usées directement. « Nous avons déjà fait 150 contrôles sur les 260 bateaux recensés, avec seulement 19 cas de non-conformité », indique Pierre Rabadan.
23 sites de baignades en 2025
Rappelons enfin que ces JO 2024 ont vocation à laisser un héritage pour ce territoire et ses habitants. Tous les efforts réalisés via le « plan baignade » doivent permettre de créer 23 sites de baignade en Île-de-France. « Le fait d’organiser les JO nous a permis de gagner 10 à 15 ans. Sans cette date butoir, les différentes collectivités et parties prenantes auraient reporté leurs investissements », estime Pierre Rabadan.
Un appel à manifestation d’intérêts a été lancé en 2017 aux collectivités franciliennes désirant créer un site de baignade. Il faut pour cela que la Seine soit aménageable par rapport à la navigation et au bain, ce qui a conduit à éliminer une partie des 40 sites initialement envisagés. L’objectif est que la baignade soit possible en 2025.
Au delà de la baignade des franciliens, l’objectif est également de retrouver un bon état des masses d’eau, comme le demande ardemment la directive cadre sur l’eau – ce qui évitera un nouveau contentieux européen à la France.
Les efforts des collectivités franciliennes devront continuer bien au-delà de 2024, car pour éviter les pollutions liées aux fortes pluie, il va falloir réaliser un autre travail de fourmi, en désimperméabilisant le tissu urbain. « On ne peut pas avoir l’ambition d’une qualité « eau de baignade » sur les cours d’eau et continuer à imperméabiliser et manipuler des volumes d’eau immenses. Si on prend cette direction, il faut travailler petit à petit à gérer autrement les eaux de pluie », conclut Franco Novelli.
Thèmes abordés
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Notes
Note 01 Il ne nous a d’ailleurs pas été possible d'interviewer des fonctionnaires territoriaux des collectivités impliquées, car pour chaque demande faite à la ville de Paris et au Siaap, nous avons été redirigé vers un élu. Retour au texte
Note 02 Pluie la plus importante sur une période de six mois Retour au texte