A une vingtaine de kilomètres au nord d’Orléans, deux communes se font face de part et d’autre de l’A10, à la frontière du Loiret et de l’Eure-et-Loir. D’un côté, Artenay (2000 hab., Loiret), bourg agricole au cœur de la plaine beauceronne où la seule activité ouvrière a longtemps été celle de la sucrerie. De l’autre côté, Poupry (100 hab., Eure-et-Loir), minuscule village d’une centaine d’âmes, avec son église, son plan d’eau et ses champs à perte de vue. Entre les deux, le décor, en dix ans, a radicalement changé. Exit les tracteurs. La campagne a disparu pour laisser place au ballet des poids lourds et aux hangars XXL. A la sortie de l’échangeur, une zone logistique a poussé à toute allure en profitant d’une situation idéale, à une centaine de kilomètres au sud de Paris, avec deux autoroutes à proximité, l’A10 et l’A19.
Le terrain semble inépuisable. Chaque année, de nouveaux logisticiens viennent s’installer, comme Stef, GXO ou Kuehne + Nagel, qui exploite, pour Carrefour, un mastodonte de 130 000 mètres carrés. Les chiffres donnent le tournis : 180 hectares, 252 000 mètres carrés construits entre 2013 et 2019, 94 000 mètres carrés en 2020, 65 000 en 2021-2022, 250 millions investis et 1 700 salariés, soit presque autant que d’habitants…
Point de saturation
Pourtant, depuis peu, le vent semble avoir tourné. « On arrive à un point de saturation. On a une volonté claire des élus de changer la vocation du foncier encore disponible », souligne Mohamed Karray, directeur du syndicat mixte Artenay Poupry, qui gère cette zone d’activité créée à la fin des années 90 par les présidents des deux départements, Eric Doligé (LR, Loiret) et Albéric de Montgolfier (LR, Eure-et-Loir). Les deux premières tranches sont quasi pleines. Un dernier projet logistique, acté de longue date, attend de sortir, sur 7 hectares. Mais sur les 11 autres disponibles, la maire (SE) de Poupry, Dany Bertheau, est catégorique : « Je ne signerai pas un nouveau permis pour de la logistique. »
Dans la commune d’Artenay, son collègue, David Jacquet (PS), élu en 2020, est tout aussi déterminé. « J’y ai mis un coup d’arrêt. On n’en veut plus ! » s’exclame-t-il. La raison ? « C’est consommateur d’espace et la plus-value en matière d’emplois n’est pas à la hauteur, avec des métiers peu qualifiés », ajoute-t-il. Les entreprises ont du mal à recruter, la main-d’œuvre vient de Chartres, d’Orléans ou de Pithiviers, à trois quarts d’heure de là, sans moyen de transport pratique. Et il faut gérer les poids lourds, construire des parkings, refaire les routes…
Spéculation et lobbying
Mais prendre le virage n’est pas simple. « Quand vous développez une zone comme celle-ci, la viabilisation et les fouilles coûtent des fortunes. Rapidement, il faut qu’on ait des porteurs de projet qui s’installent, et la logistique, c’est ce qui va le plus vite. C’était une nécessité », justifie Bruno Pellegrin, président du syndicat mixte Artenay Poupry et maire (SE) de Terminiers (880 hab., Eure-et-Loir). « C’est intéressant en ce qui concerne la surface de foncier bâti », insiste de son côté le président (DVD) de la communauté de communes (CC) de la Beauce loirétaine, Thierry Bracquemond (lire aussi ci-dessus).
Malgré tout, ces hangars n’ont pas été acceptés de gaîté de cœur. « C’était compliqué, on a pris le train en marche, déplore la maire de Poupry, qui a vu tomber des demandes de permis de construire en cascade à partir de 2016. Quand ils sont en phase avec le plan local d’urbanisme, c’est difficile de dire non. Mais, peu à peu, on a pu avoir plus de dialogue, faire un permis d’aménager… nous sommes devenus davantage acteur, moins spectateur. » Il faut aussi composer avec la ténacité des nombreuses sociétés à l’affût de terrains disponibles. « Ces gens sont très forts pour amener autour de la table des sénateurs, des députés. Le lobbying est très important », lâche David Jacquet. Même aujourd’hui, ces opérateurs ne désarment pas. « Je suis approché sans arrêt. Ils nous proposent trois à quatre fois le prix, sans avoir de projet derrière, c’est de la spéculation ! » témoigne-t-il.
Même si le ZAN est dans tous les esprits, l’enjeu actuel est moins la rareté de l’espace que son usage. La CC de la Beauce loirétaine a revu ses documents d’urbanisme et divisé par deux le foncier dédié à l’économie mais, pour la tranche à venir, il reste encore 60 hectares.
Constructions plus limitées
Ce qui préoccupe désormais surtout les élus, c’est de pouvoir choisir les entreprises qu’ils accueillent et discuter directement avec elles. Dans cette future phase, ils vont privilégier l’industrie, jugée plus durable et plus créatrice de valeur pour le territoire. A ce stade, deux projets sont déjà « bien avancés », avec des constructions plus limitées, 30 % des parcelles réservées à des espaces naturels et une logique d’énergie renouvelable. Les opérateurs logistiques, eux, iront sans doute voir sur des territoires moins regardants où les terrains se vendent moins bien. « Les porteurs de projet élargissent leurs recherches. C’est tout bénéfice pour nos collègues, qui étaient moins sollicités », positive Pauline Martin, présidente (LR) de l’Association des maires du Loiret.
Dev’up, l’agence régionale de développement économique, préférerait que tout le monde temporise afin de réserver le foncier restant pour implanter des projets industriels, comme à Artenay. Mais, pour cela, il faudrait « une approche commune », à l’échelle de la région ou des départements, indique Matthieu Schlesinger, vice-président (DVD) d’Orléans métropole. Actuellement, « cela n’existe pas », regrette-t-il.
« Nous devons nous montrer de plus en plus vigilants »
Camille Villanneau, chargée de développement économique et manageuse de commerce à la CC de la Beauce loirétaine (23 communes, 16 900 hab., Loiret)
« Les élus savent que le ZAN va changer nos pratiques et demandent conseil. Nous avons commencé à dresser l’inventaire comme on nous y enjoint. On a déjà fait le relevé, cela permet de mieux connaître nos disponibilités pour, à terme, nous orienter vers la mise en place d’une stratégie foncière.
Même si on sait qu’on ne peut pas s’étendre, cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de possibilités. Il faut travailler sur la densification et se montrer de plus en plus vigilants. Avec le syndicat mixte, nous avons maintenant un regard attentif sur la cohérence entre surface du terrain et surface du bâti. Il faut éviter de vendre 3 hectares à une entreprise qui prévoirait de construire 600 mètres carrés ! On impose aussi un début des travaux dans les deux ans pour éviter la rétention foncière et on essaie de travailler directement avec les entreprises et non des intermédiaires. Compte tenu du ZAN, chaque terrain va devoir être aménagé comme si c’était le dernier ! »
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