Alors que le mandat du bloc communal entame sa seconde partie et que celui départemental et régional se rapproche de la première, force est de constater que l’équation financière s’est complexifiée sous les coups de boutoir de l’inflation, du choc énergétique et du rationnement fiscal des collectivités.
Quelle impasse financière ?
Les collectivités sont dans l’obligation de retravailler en profondeur leur trajectoire financière, les prospectives financières de début de mandat étant devenues caduques. L’actualisation desdites prospectives financières, à un tel moment du mandat, n’est pas chose aisée car nombre de dossiers, projets et actions sont amorcés. Les plans pluriannuels d’investissement ont été adoptés et lancés. Le travail d’ingénierie financière vise avant tout à faire apparaître l’impasse financière potentielle à fin de mandat.
Ce travail réalisé, il s’agira d’élaborer la prescription pour y faire face, de la faire arbitrer et de la mettre en œuvre. Nous l’avons évoqué le mois dernier : nombre de collectivités (les communes essentiellement) ont eu recours au levier fiscal pour corriger soit partiellement, soit totalement leur cap financier.
Parmi les grands territoires, les hausses de taux les plus significatives sont : Grenoble : +25 %, Marseille : +13 % ; Tours : +12 % ; Lyon : +9 % ; Metz : +14,3 % ; Montreuil : + 7,5 % Strasbourg : +9 % ; Nantes : +8 % ; Bordeaux : +4,5 % ; Mulhouse : +5 % ; Annecy : +5 %. Des hausses qui peuvent apparaître bien modestes au regard de Paris : +52 %.
Néanmoins, nombre de collectivités doivent trouver des marges de manœuvre pour sécuriser le moyen terme et achever le mandat. Confronté depuis une dizaine d’années à une contrainte financière devenue structurelle, le management local a emprunté, de manière empirique, différents chemins, plus ou moins efficaces.
Régulation budgétaire
Depuis une quinzaine d’années, on a assisté à l’émancipation d’une régulation centralisée et verticale des moyens lors de leur allocation, c’est-à-dire dans le temps budgétaire.
La préparation du budget prévisionnel (BP) repose sur des taux directeurs s’appliquant de manière indifférenciée à toutes les politiques publiques d’une collectivité. La méthode est simple, rapide et efficace mais porte quelques handicaps :
- mauvaise résistance à la réalité : fluides, loyers, des marchés sont inflatés et ne permettent pas de supporter le cadrage ;
- besoins nouveaux, liés à une nouvelle action ou un nouvel équipement ;
- équité non respectée.
Cette démarche dite budgétaire permet d’affronter une soudaine contrainte. Elle a d’ailleurs été utilisée pour boucler les BP 2023, particulièrement contraints par le choc énergétique, mais se révèle moins pertinente à moyen-long terme car la contrainte est transférée à ceux qui délivrent le service, charge à eux de tenter de l’absorber.
La meilleure solution reste le lancement d’un plan marges de manœuvre le plus global et impliquant possible reposant sur plusieurs piliers.
Revisiter le niveau des politiques publiques
Cela passe nécessairement par la « réinterrogation » des politiques publiques et ce à deux niveaux :
- Leur légitimité : travail qui consiste à questionner la pérennité de toutes les activités délivrées, tous les modes et processus de production afin de se positionner sur leur fondement. Ce balayage exhaustif doit nécessairement aboutir à des disparitions d’actions mises en œuvre il y a vingt ou trente ans, pour un besoin qui s’est progressivement érodé : établissements balnéaires, chaîne TV, médecine préventive dans les écoles, laboratoire d’analyse municipal ou départemental, mairies de quartier (annexes), etc. Chaque collectivité a abandonné des actions ou des projets ces dernières années.
- Leur qualité ou leur intensité : la plupart des politiques délivrées par une collectivité sont régaliennes et la question de leur pérennité ne se pose pas. Quant aux autres, elles sont souvent exercées de manière monopolistique, ont trouvé un public et leur suppression ne serait pas neutre pour un territoire.
Il s’agit donc d’apprécier la possibilité de réduire l’intensité de la prestation délivrée sans pour autant la remettre en cause, réduction permettant elle-même un ajustement à la baisse des moyens dédiés.
Cela renvoie très clairement à quelques catégories d’action :
- amplitude d’ouverture des services publics ;
- fréquence d’une prestation ;
- nombre de guichets ouverts.
L’administration a un rôle essentiel de préparation de ces arbitrages en réunissant toutes les informations nécessaires. Au nombre desquelles, on compte :
l’acceptation sociale, entendue par le personnel de la collectivité et en particulier par ses représentants. Il est essentiel qu’une mesure de gestion soit partagée avec le personnel concerné qui dans l’idéal peut en être à l’origine. La compréhension par le personnel du contexte et des décisions qu’il impose est absolument essentielle ;
- la sensibilité socio-économique : impact sur la population et les usagers de la mesure ;
- le calendrier de mise en œuvre et des économies générées ;
- la complexité de mise en œuvre (juridique, organisationnelle, technique…) ;
- le niveau de l’économie réalisée.
Il est essentiel que cette critérisation soit réalisée et présentée à l’exécutif qui arbitrera au final. La mesure de l’ensemble des conséquences d’une décision rigoriste doit être le juge de paix : il y va de la crédibilité de l’administration dans sa posture d’accompagnement.
Produire et délivrer le service différemment
Une fois que les élus ont fixé le « quoi » (que fait-on et à quelle intensité dans le respect des fondamentaux de la collectivité ?), il revient à l’administration d’assumer le « comment » c’est-à-dire la production et la délivrance du service public.
Un projet marges de manœuvre permettra de s’interroger sur les processus de fabrication des politiques publiques et de créer les conditions de leur amélioration. Cette mise en tension de l’administration sur ses « modes de faire » doit permettre à chaque centre de responsabilité, fut-il modeste, de proposer, décider, mettre en œuvre tout gain d’efficience. La méthode pour interpeller le plus grand nombre d’agents appartient à chaque collectivité qui doit trouver la méthode adéquate pour y parvenir afin de coller au mieux à ses besoins et à sa culture.
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