1,5 milliard puis autour de 2 milliards, le fonds vert destiné aux collectivités pour financer leurs investissements dans le cadre de la transition écologique révèle peu à peu ses mystères depuis l’annonce de sa création par la Première ministre Elisabeth Borne le 28 août dernier. Au fil des déclarations publiques des différents ministres ces dernières semaines, il apparait que ce fonds devrait être consacré « à la rénovation thermique des bâtiments publics, la renaturation des villes, l’aménagement des friches ou pour faire face au recul du trait de côte ». Il pourrait être également utilisé à la « protection de la biodiversité » au « soutien spécifique de la montagne ».
Une utilisation simplifiée
L’utilisation et la répartition de ce fonds devrait être simplifiée par rapport aux dispositifs mis en place sous le précédent quinquennat comme la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL). Lors de la dernière convention des Intercommunalités de France le 6 octobre à Bordeaux, Elisabeth Borne avait précisé les modalités d’attribution : « Ce fonds sera entièrement délégué aux préfets, de telle sorte qu’il ne soit pas opéré par appels à projets nationaux mais au plus près de vos besoins, dans le cadre de nos contractualisations. Le fonds inclura une offre d’ingénierie nouvelle pour accompagner les collectivités dans la transition écologique, qui devra être articulée avec l’offre d’ingénierie des autres partenaires, comme le Cerema, l’Ademe ou la Banque des territoires ». Tout est donc fait pour que ce fonds soit fongible, souple, dans une logique remontante des besoins du terrain, sans grande technicité d’attribution. Un bonheur de dotation à l’investissement.
Sauver l’épargne brute
Pourtant, rien ne dit que les collectivités vont vraiment se saisir de ce fonds. Dans nombre de salles de conseils municipaux, les débats d’orientation budgétaires tournent actuellement au casse-tête face à la hausse des coûts et notamment de l’énergie, mais aussi devant les incertitudes liées au niveau des ressources que les collectivités peuvent espérer –et notamment de l’Etat via ses filets de sécurité ou d’amortisseurs électrique. Dans ces conditions, la gageure principale des élus locaux est avant tout de boucler un budget sans ruiner l’épargne brute.
Très majoritairement, les comptables et financiers locaux devraient parvenir à équilibrer les comptes locaux, étant devenus des experts dans cet exercice réalisé sous toutes sortes de contraintes depuis plus de dix ans : baisse des dotations, contrats de Cahors, disparition de la taxe d’habitation et désormais inflation élevée.
Mais ces vétérans de l’optimisation des marges financières feront le job en réduisant encore les dépenses d’un côté, parfois en réduisant la qualité et/ou la quantité de service public comme c’est le cas avec les piscines, l’éclairage public ou les amplitudes horaires des bibliothèques par exemple. D’un autre côté, ils pourront aussi jouer sur le niveau d’endettement de leur collectivité ou décaler voir annuler leurs projets d’équipement. En effet, le premier réflexe porte souvent sur les investissements, comme l’Etat a pu le vérifier durant la baisse des dotations. Sans épargne brute, pas d’emprunt possible, donc pas d’effet de levier, donc pas d’investissements.
Effet de levier indispensable
Pierre-Olivier Hofer, directeur associé du cabinet Exfilo détaille le processus : « L’épargne brute conditionne la capacité d’investissement de la collectivité. Les investissements peuvent être financés par des ressources propres (épargne brute) et par des ressources externes (subventions, dotations et emprunts). Ainsi, par le recours à l’emprunt, l’épargne brute permet un effet de levier important : 100 d’épargne brute permettent de financer 100 d’annuités de dette, et donc d’emprunter 1 000. C’est un effet de levier de 1 à 10. » A l’inverse, une réduction de 100 de l’épargne brute contraint à une réduction de 1000 des investissements.
Légalement, « les collectivités locales sont tenues, en leur qualité de maîtres d’ouvrage, d’assumer une part minimale de leurs dépenses d’investissement : tant les études menées en vue de la réalisation d’un projet, que le financement de l’équipement lui-même » précise un rapport parlementaire sur les collectivités et la relance. Cette part est généralement de 20 % du montant global de l’investissement qui peut être constitué d’autofinancement et/ou d’emprunts. Dit autrement, un équipement ne peut pas être financé à plus de 80 % par des subventions. Dans ces conditions, les dotations à l’investissement comme la DSIL, la DETR et bientôt ce fonds vert ne sont utilisables que si la collectivité parvient à préserver à minima les ressources propres nécessaires au remboursement de l’annuité en capital de la dette.
Généralement, les collectivités financent près de la moitié de leurs investissements avec leur épargne nette des remboursements d’emprunts. « L’emprunt n’entre que pour environ 30 % dans le financement de l’investissement territorial » précise par ailleurs la Banque postale. Le reste est financé par les subventions et dotations. Bien sûr, ces proportions varient en fonction de la conjoncture, des aides de l’Etat, du marché de la dette, etc., mais, sauf exception, un équipement n’est pas financé sans un minimum de ressources propres et d’autofinancement.
Fonds vert inaccessible ?
En conséquence, qu’il atteigne 1,5 ou 2 ou même 10 milliards d’euros, le fonds vert ne sera utilisé qu’en rapport à la capacité d’autofinancement des collectivités. C’est aussi pourquoi les élus locaux réclament une hausse de DGF versée en fonctionnement et donc susceptible d’étoffer leur épargne brute plutôt qu’une dotation en investissement.
Sans répondre totalement à cette revendication, le gouvernement a consenti à une hausse inédite depuis 11 ans de 320 millions d’euros des dotations de péréquation et multiplie les mesures de soutien dont la plus efficace pourrait être l’amortisseur électrique qui agira en direct sur les dépenses de fonctionnement, selon des conditions qui restent encore à négocier. Mais pour l’heure, l’autofinancement est largement sous la pression des hausses des coûts de l’énergie. Dans sa dernière note de conjoncture de septembre dernier, la Banque postale anticipe pour 2023 un repli de 4,4 % de l’épargne brute à 43,1 milliards d’euros de l’autofinancement des collectivités, soit un retour au niveau de 2019.
Pas de quoi démonter les échafaudages, c’est vrai, mais le contexte est malsain car l’effet de ciseaux, c’est-à-dire une hausse des dépenses couplée à une baisse des recettes pour 2023, est envisageable, selon la conjoncture économique et les modalités d’attribution des compensations promises par le gouvernement. Celui-ci a pris l’initiative du soutien aux collectivités. Il doit maintenant le rendre efficace. Et d’ici là, le fonds vert ressemble à cette belle pitance au fond du vase dans la fable du Renard et de la Cigogne de Jean de la Fontaine : appétissante, mais encore inaccessible.