Quelle valeur attribue-t-on au « gratuit » ? Quel sens donne-t-on à nos actes de consommation quand ils ne sont pas liés à contrepartie ? Quel respect éprouve-t-on face à un service ou un bien si l’on ne contribue pas, ne serait-ce qu’un peu ? La valeur est l’étendue du soi. Le slogan iconique de L’Oréal, « Parce que vous le valez bien » (2004), qui avait comme version originelle « Parce que je le vaux bien » (1972), en est une illustration. Les deux acceptions de la gratuité, « fait ou donné sans contrepartie » comme « caractère de ce qui ne sert à rien », s’inscrivent déjà dans une ambivalence.
La dématérialisation progressive dans laquelle est entrée l’économie de la santé déresponsabilise. L’école, réputée à tort pour être gratuite, est une affirmation fallacieuse qui la dessert. Les politiques incitatives créent des effets d’aubaine. Les transports gratuits, quant à eux, portent leurs lots de controverses, notamment sur le plan écologique. La loi « Egalim » (1), en dehors de ses écueils, a tout simplement interdit d’utiliser le terme « gratuit » dans le cadre de la promotion des ventes des produits alimentaires. Un distributeur ne peut donc plus arguer le funeste « un acheté = un gratuit ».
Entre enthousiasme populaire, électoralisme et démagogie, ces pratiques portant en étendard la gratuité ont un corollaire dont on doit mesurer la portée. De nouvelles attentes et de nouvelles offres apparaissent. La sémantique suit : « gratuivore », « freemium » font leur apparition. Ces comportements individuels et/ou collectifs sont-ils souhaitables, soutenables ? Le gratuit finit par être traité avec de piètres égards, voire avec mépris. La gratuité, dans ses effets pervers, a sa part de responsabilité dans la dette de demain.
Désillusions
L’absence ou le manque de relation entre le prix d’un bien ou service, déconnecté de sa réalité avec celui qui en bénéficie, crée plusieurs biais : celui de l’aléa moral, celui d’une infantilisation, et donc d’une déresponsabilisation ainsi qu’une dépréciation de la perception de la valeur menant à une déflation, à une surconsommation et à la spoliation des ressources.
Par ailleurs, lors des dispositifs incitatifs, la part du prix supportée ou remboursée par un tiers doit être communiquée, expliquée et réintroduite à sa juste valeur pour lutter contre les effets inflationnistes générés et les effets d’aubaine où les lois du marché ne sont plus opérantes.
A défaut d’un prix, les offres ont un coût, et faire croire aux consommateurs ou aux usagers que la gratuité est un modèle économique alternatif est une imposture qui, par définition, tend à tromper. En user, voire en abuser, crée les désillusions de demain. Réhabiliter la valeur (économique, fonctionnelle comme symbolique) et s’inscrire dans une sobriété des moyens et des ressources sont deux axes plus sincères, plus éthiques et moins dommageables que de prôner une pseudo-gratuité.
Avant de se lancer dans la gratuité, les leaders d’opinion, élus comme décideurs économiques, ne devraient-ils pas s’interroger sur le bien-fondé d’une telle décision ? Promouvoir de la valeur plutôt qu’un prix : un autre regard pour notre monde de demain.
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