En mettant en avant des initiatives constructives, porteuses d’espoirs et de solutions concrètes, « La Gazette des communes » s’associe, du 14 au 20 octobre 2019, à la 5e édition de « La France des solutions », initiée par Reporters d’espoirs.
Hélène Geoffroy et François Hollande au centre de la photo, lors du colloque « bilan d’étape », organisé le 7 février.
[Vaulx-en-Velin (Rhône) 48 500 hab.] «Pour lutter contre un phénomène, il faut déjà le nommer. » Forte de ce principe, Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin, a lancé en 2014 un « plan territorial de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations ». Ancienne secrétaire d’Etat à la politique de la ville, elle en a fait « un axe aussi structurant que la rénovation urbaine » du contrat de ville. Elle forme d’ailleurs l’ensemble des agents de la municipalité à ces sujets. Sur la base d’une inspection générale de 2017 (1), le Plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme 2018-2020 prévoit 50 duplications de cet exemple.
Les premiers partenaires du plan vaudais ont été la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), qui souhaitait agir dans cette banlieue, et le Défenseur des droits, qui y expérimente l’installation d’un délégué formé aux discriminations dans une structure associative. Puis d’autres les ont rejoints, nationaux (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, Commissariat général à l’égalité des territoires, Campus Marianne…) et locaux (académie de Lyon, Maison d’Izieu…), qui conduisent une centaine d’actions par an : visites de lieux de mémoire, débats…
Deux oliviers
Mais la particularité de ce plan réside, depuis 2016, dans un appel à projets annuel (40 000 euros sur le budget de 160 000 euros par an) ouvert aux petites associations et collectifs d’habitants. Seule contrainte : innover. Dès 2017, les inspecteurs généraux soulignaient l’importance de s’appuyer sur ce tissu de « petites structures associatives très vivantes, implantées notamment dans les quartiers politique de la ville, avec une action quotidienne pour porter les valeurs de la République ».
Pour 2000 euros chacun, un collectif a planté deux oliviers, un autre a imaginé des ateliers « contes » sur les violences faites aux femmes, des parents d’élèves ont apaisé des tensions avec une fête de l’amitié, le club de foot a animé une journée contre le racisme dans les stades et celui de futsal a rencontré des équipes handisport… Quelque 5 000 Vaudais ont été concernés par la vingtaine de projets soutenus chaque année. Leur implication était visible, le 7 février dernier, lors du colloque « bilan d’étape » du plan : 70 % des 350 participants étaient des habitants. De fait, l’émergence de saisines du Défenseur des droits pour discrimination semble prouver un recul du fatalisme.
« Nous souhaitions aussi qu’il n’y ait aucun tabou, je crois que nous avons réussi », avance Yohanna Géron, coordinatrice du plan. La preuve ? « En 2016, un jeune de nos quartiers a été arrêté : on a appris qu’il était radicalisé. Cela nous a tous réveillés », relate Hamida Djoudi, coordinatrice « enfance jeunesse » au centre social Georges-Lévy, qui a organisé – aussitôt et l’année suivante – un « séminaire » sur la radicalisation : trois jours durant, une centaine d’ados et d’adultes, accompagnés d’un sociologue, ont échangé avec deux Lyonnais, anciens détenus de Guantanamo pour avoir fait le djihad en Afghanistan. « Cela a porté, assure Hamida Djoudi. Les jeunes parlent moins religion, certains ont repris leurs études. » Sur l’égalité femmes-hommes, elle repère de (petits) progrès : garçons et filles qui nettoient ensemble le centre social, une mère de famille musulmane qui obtient de son mari le droit pour leur fille prépubère de partir en séjour scolaire… « Mais il faudrait que les choses avancent plus au sein des familles », admet-elle.
Au milieu du gué
Yohanna Géron le sait : « Nous n’avons touché que des citoyens qui sont captifs car ils appartiennent à une structure. Il faudrait que cela diffuse dans tous les publics. » Un partenariat noué cette année avec Radio Salam Lyon va dans ce sens. Pour Marisa Lai-Puiatti, coordinatrice régionale du Défenseur des droits, ce plan est « au milieu du gué : il faudrait travailler structurellement sur les instances produisant de la discrimination ». La ville a engagé une sensibilisation des intermédiaires de l’emploi, et envisage de le faire avec les bailleurs. « Mais nous ne pouvons agir que sur notre territoire, admet la coordinatrice. C’est toute la difficulté. »
Contact : Yohanna Géron, coordinatrice, ygeron@mairie-vaulxenvelin.fr
« Des habitants ni uniquement victimes, ni uniquement porteurs de violence »
Cyprien Fonvielle, directeur de la Fondation du Camp des Milles
« Les problèmes des quartiers en politique de la ville [QPV] étant importants, leurs habitants peuvent souffrir davantage des discriminations, notamment de celles qui provoquent le plus de violence : racisme et antisémitisme.
Mais l’enjeu est de ne pas considérer que ces habitants de QPV ne sont que victimes de discriminations ou, à l’inverse, porteurs d’antisémitisme. La force de ce qui se passe à Vaulx-en-Velin, c’est, au contraire, la compréhension que nous pouvons tous basculer dans la discrimination, parce que notre cerveau a besoin d’une lecture simplifiée de notre environnement. Pour lutter contre ça, sensibiliser des individus et les laisser repartir ne suffit pas. Seule la répétition des messages par différents vecteurs, à différents moments de la vie des citoyens, peut être efficace. »
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Evaluation du plan interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, inspections générale de l’administration, et de l’Education nationale et de la Recherche, décembre 2017. Retour au texte