Pendant l’été, la Bretagne s’était émue de l’interdiction, portée par Thierry Lescouarc’h, procureur de la République à Quimper, d’inscrire un nouveau-né sous le prénom de Fañch. Le 23 janvier, c’est à Rennes qu’on a appris que l’état civil, suivant l’avis du Parquet, n’avait pas accepté l’inscription d’un enfant que ses parents souhaitent prénommer Derc’hen.
L’apostrophe de la discorde
Alors que la famille a fait appel dans « l’affaire Fañch », à Rennes, c’est le procureur général qui a finalement mis tout le monde d’accord en revenant sur l’avis du parquet concernant Derc’hen, né en août. Trois jours après que la presse locale ait fait état de la situation, le procureur général déclarait dans un communiqué que « la circulaire du 23 juillet 2014 relative ne statuant pas expressément sur l’utilisation de l’apostrophe et s’agissant en outre d’un signe orthographique d’utilisation courante, il peut être considéré que son emploi n’est pas formellement interdit ».
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Les uns après les autres, les élus bretons saisissent donc Nicole Belloubet pour que soit modifiée la circulaire de 2014 afin de permettre l’usage des signes diacritiques (accents sur les lettres) pour orthographier les langues régionales. Le vœu du conseil régional, approuvé à l’unanimité (le Front national ne prenant pas part au vote) le 13 octobre 2017 s’appuie sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 18 décembre 2000 dont l’article 22 prévoit le respect de la diversité culturelle, religieuse et linguistique. La semaine suivante, le conseil départemental du Finistère votait à l’unanimité une motion demandant au ministère de la Justice de permettre l’utilisation du tilde.
« Patrimoine de la France »
Dans un courrier envoyé à Nicole Belloubet, Nathalie Appéré, maire de Rennes rappelle le vœu du conseil régional et invoque la Constitution française selon laquelle « les langues régionales font partie du patrimoine de la France » ainsi que la liberté de choix du prénom, dès lors que celui-ci n’est pas contraire à l’intérêt de l’enfant (Code civil, article 57).
L’incompréhension est forte en Bretagne où on se souvient encore de l’interdiction faite , jusqu’en 1964, à la famille Goarnig de donner des prénoms bretons à ses enfants en vertu de la loi du 11 germinal an XI (avril 1803) abrogée en 1993.
Désormais, l’ouverture des données apporte aussi des arguments :
Après Fañch, le #PrénomBreton Derc’hen lui aussi refusé par l’état civil. Et pourtant, d’après l’ @datagouvfr, rien qu’en 2015, 73 prénoms avec une apostrophe ont été attribués en France à des nouveaux-nés. #opendata #démocratie #Bretagne #bzh Cc @NBelloubet pic.twitter.com/fe0RRGsnQS
— Lucie (@luciedotbzh) 23 janvier 2018
Chez les parlementaires, qui ont adressé un courrier à la ministre (1), on s’étonne qu’une circulaire prévale sur le Code Civil et la Constitution française et que celle-ci s’appuie sur deux antiques textes : la loi n° 118 du 2 Thermidor An II (20 juillet 1794) et l’arrêté du 24 prairial an XI (13 juin 1803).
Dans l’entourage de certains d’entre eux, on invoque aussi, pour libéraliser l’usage des prénoms en langue régionale, le nouvel article 225-1 du Code pénal introduisant la notion de discrimination linguistique ainsi que la réduction de la porté du texte de Thermidor consécutive à un amendement par la loi du 28 février 2017.
Selon la même source, diverses circulaires concernant l’état civil, dont celle de 2014, « interprètent abusivement les normes constitutionnelles et législatives supérieures, créent des interdictions sans fondement légal, ce qui justifierait qu’ils fassent l’objet de recours de la part de la commune et des familles parties prenantes ».
Domaines juridiques
Notes
Note 01 cosigné par Paul Molac, Yannick Kerlogot, Erwan Balanant, Ramlati Ali, Mireille Clapot, Jean-Michel Clément, Richard Ferrand, Raphaël Gérard, Yannick Haury, Bruno Joncour, François-Michel Lambert, Jean-Charles Larsonneur, Didier Le Gac, Annaïg Le Meur, Laurence Maillart-Méhaignerie, Jacques Maire, Graziella Melchior, Jimmy Pahun, Hervé Pellois, Maud Petit, Gwendal Rouillard, Hélène Zannier. Retour au texte