Les uns estiment que c’est l’enjeu du moment, les autres disent qu’il est trop tôt pour s’en préoccuper. L’avenir de la politique régionale de l’Union européenne (UE) après 2013 suscite, chez les acteurs concernés, des réactions pour le moins contrastées. Le point sur les discussions en cours, alors que les mandats de la Commission et du Parlement touchent à leur fin
«C’est maintenant qu’il faut agir», lance le représentant d’une région française à Bruxelles, qui dit suivre le sujet depuis 2007. Et pourtant, le calendrier n’est pas favorable aux discussions de fond. «On sent bien que quoi que l’on fasse, ce sont les discussions budgétaires qui primeront.»
Car la politique régionale est, avec la politique agricole commune, l’un des deux premiers postes de budget de l’Union européenne. Pour la période actuelle, elle représente 35% du budget communautaire, soit presque 350 milliards d’euros. 80% de cette somme est destinée aux régions les moins développées de l’UE. Mais ces équilibres pourraient radicalement être remis en jeu à l’occasion des négociations de la prochaine période budgétaire (2013-2020), qui seront ouverts par la prochaine Commission, fin 2010 ou début 2011.
«La politique de cohésion apporte une bonne réponse à la crise»
«Je ne crois pas que les ressources allouées à la politique régionale augmenteront significativement», estime Jean-Charles Leygues, ancien directeur général de la DG politique régionale et conseiller spécial auprès de Danuta Hübner. «Sans impôt européen, c’est-à-dire avec un budget communautaire limité à 1% du PIB européen, l’UE n’en a pas réellement les moyens», ajoute-t-il.
La crise économique et financière risque fort d’avoir un impact sur les discussions. Et de donner, à un camp comme à l’autre, des arguments à utiliser.
Les adversaires d’une politique régionale profitant à toutes les régions européennes argueront que les fonds communautaires doivent être concentrés sur les régions les plus en difficulté. Ses partisans souligneront au contraire que la crise aggrave les écarts entre les régions d’un même pays. «La politique de cohésion apporte une bonne réponse à la crise», souligne-t-on côté français.
Tête de liste MoDem dans la région Massif-Centre, Jean-Marie Beaupuy, est l’un des députés européens français les plus en pointe sur cette question à Bruxelles. Il demande que la prochaine période soit l’occasion, pour la Commission, de mettre en place «une meilleure gouvernance» que ce qui existe actuellement. «Il faut que les fonds disponibles soient mieux utilisés», explique-t-il. Une «lisibilité» qui passerait, selon lui, par une meilleure identification des responsabilités. «Vouloir mettre un frein à la politique de cohésion, ce serait un suicide collectif», souligne-t-il.
«Il est important que cette politique s’applique sur tout le territoire européen», estime pour sa part l’eurodéputé UMP Ambroise Guellec. Il réclame notamment l’intégration du concept de «cohésion territoriale» dans la prochaine réflexion sur la politique régionale, comme le prévoit le traité de Lisbonne. Il plaide également en faveur d’un volet de la politique régionale consacré à l’investissement, et pas seulement à la compétitivité, comme c’est le cas actuellement. «A Bruxelles, les choses ne vont pas aussi vite que nous le voudrions», souligne-t-il, ajoutant que, dans ce domaine «la Commission ne fait pas preuve d’un dynamisme débordant».
Dès juillet 2008, la Commission a annoncé la publication d’un rapport rédigé par des experts indépendants. Le groupe, piloté par le directeur général pour le développement du ministère italien de l’Economie, Fabrizio Barca, devrait rendre son document le 27 avril.
Quelques jours avant, les ministres européens chargés de la politique régionale, rendront public, à l’issue d’une réunion informelle en République tchèque, un communiqué final esquissant des grandes lignes pour l’avenir de la politique de cohésion.
D’après nos informations, ce communiqué devrait surtout contenir de grandes déclarations de principes. La création d’un conseil formel «politique régionale» au sein du Conseil «Affaires générales», un temps envisagé dans un projet de conclusions, a finalement été abandonné.
«Une réflexion proche de zéro»
Sur le terrain, autre ambiance. «En région, la réflexion post-2013 est proche de zéro», tempère le responsable de la gestion des fonds européens dans une région française. Il faut dire que le retard que ne cesse de prendre la mise en oeuvre des programmes opérationnels (PO) de la période 2007-2013 force les responsables régionaux à accélérer sérieusement la cadence, mais aussi à ne penser qu’au court-terme.
Car la question est bien là : parviendra-t-on à tout dépenser? Renoncer à une partie de l’argent européen reviendrait à donner des arguments aux adversaires de la politique de cohésion.
A l’association des régions de France (ARF), 2014 est encore loin. Très loin. «Nous considérons que, pour l’instant, le débat n’a pas eu lieu». Et rien ne sert de discuter de cette question tant que la Commission et le Parlement ne seront pas renouvelés.
«En fait, la question qui se pose est double», explique le chargé des affaires européennes de l’ARF, Pascal Gruselle :
- «D’une part, la question est de savoir si nous allons conserver une politique de cohésion pour toutes les régions.
- D’autre part, on se demande comment sera orientée cette future politique».
Toute la question est en effet de savoir si la future politique régionale de l’UE sera orientée davantage vers la cohésion (pour soutenir les régions faibles) ou la compétitivité (dans le cadre de la stratégie de Lisbonne).
Jusqu’à 8 contrôles par an
Autre sujet important : la «simplification». Derrière ce gros mot se cache en fait la lutte contre la «bureaucratie bruxelloise», fustigée par bien des régions européennes. «La simplification vue de Bruxelles et vue du terrain n’est pas du tout la même», résume un responsable régional. Avant de poursuivre: «Entre les contrôles régionaux, nationaux et européens, celui qui a bénéficié d’un fonds européen peut être contrôlé sept à huit fois».
«Le thème de la bureaucratie est un épouvantail brandi un peu vite», tempère pour sa part Ambroise Guellec pour qui Commission et régions doivent chacune «balayer devant leur porte». «Chacun a des efforts à faire dans ce domaine», estime-t-il. L’une des solutions consiste à rendre les régions et l’Etat directement responsables de la gestion des fonds.
«Ils pourraient alors être convoqués devant la commission des affaires budgétaires du Parlement européen, soit à la demande des eurodéputés, soit à la demande de la Commission», estime pour sa part Jean-Charles Leygues. Selon lui, les discussions budgétaires entre les Etats membre promettent d’être «très vives». D’autant plus que les 12 nouveaux pays de l’UE devraient bénéficier de plus de la moitié des fonds régionaux, comme c’est le cas pour la période en cours. Mais il n’a aucun doute : la politique régionale de l’UE continuera à bénéficier à toutes les régions européennes entre 2014 et 2020. «Les décisions financières se prennent à l’unanimité et aucun pays n’accepterait que ses régions soient lésées», rappelle-t-il.
Une discussion financière qui risque fort d’être influencée par les conséquences de la crise économique. «La politique régionale aura-t-elle une mission importante pour limiter les conséquences des restructurations dues à la crise ?» «Sur le fond, la discussion en 2014 portera sur les moyens pour atteindre les objectifs de la stratégie de Lisbonne, l’introduction de critères de développement durable et l’opportunité de corriger les restructurations dues à la situation économique», conclut Jean-Charles Leygues.
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