Au cœur des politiques culturelles figure aujourd’hui l’éducation artistique et culturelle (EAC). Pour des publics novices dans les pratiques artistiques et culturelles, c’est effectivement une politique qui pourrait lutter efficacement contre le divertissement dit « culturel » (qui n’est en réalité que l’économie d’une industrie produisant des biens de consommation de valeur culturelle fort discutable).
Double peine pour les acteurs culturels
Or depuis près de 30 ans, nous assistons à l’échec grandissant des politiques dites de démocratisation culturelle :
- les publics empêchés demeurent largement exclus des équipements culturels ;
- les projets artistiques et/ou pédagogiques délocalisés de diffusion ou sensibilisation s’adressent trop souvent à des publics de niche ;
- les dispositifs financiers et logistiques développés par les pouvoirs publics prennent valeur d’institutions et excluent tout acteur qui ne cadre pas avec la légistique.
Consécutivement, cet échec se traduit par une double peine pour les acteurs culturels sur leur territoire de rayonnement, qui doivent élaborer, à partir de critères déconnectés de la réalité, des projets bancals… au risque de les rendre « hors sol » et donc inefficaces ; ou bien faire porter la charge de projets pertinents uniquement aux financeurs locaux, les collectivités territoriales de plus en plus exsangues financièrement… au risque de faire avorter leurs politiques culturelles !
ConsidĂ©ration portĂ©e Ă l’autre
Dans ces conditions, qu’en  est-il de l’EAC ? La dĂ©mocratisation culturelle ne se dĂ©crète pas par divers dispositifs institutionnels, par ailleurs plus ou moins louables (trop souvent gourmands financièrement), mais reprĂ©sente un enjeu fondamental de dĂ©mocratie culturelle. La diffĂ©rence majeure rĂ©side dans la considĂ©ration concrète et effective que l’on va porter Ă l’autre dans tous les processus de crĂ©ation artistique et de pratiques culturelles, aussi bien dans les phases d’élaboration des projets que dans l’acceptation consĂ©cutive de ce qui dĂ©finit l’altĂ©ritĂ© : la diversitĂ© c’est-Ă -dire tout ce qui est diffĂ©rent et de ce fait enrichissant par nature.
Une telle conception de l’ingénierie et de l’action culturelle est alors fortement inclusive, mais elle dérange des organes de gouvernance très hiérarchisés et dans lesquels la décision est prise « en haut ».
Décrochage entre acteurs et décisionnaires
Car l’une des causes essentielles de l’échec des politiques de démocratisation culturelle depuis 30 ans réside bien dans ce décrochage entre acteurs et décisionnaires. Sur le terrain, l’EAC est bien une manière spécifique de faire et agir, ensemble, entre sachant et apprenti, entre prestataire et usager, entre artiste et citoyen.
Partant du postulat que sensibiliser, c’est rendre accessible, perceptible et compréhensible l’œuvre d’art ou la démarche d’artiste, vulgariser est nécessaire pour favoriser l’échange et le débat, c’est-à -dire l’appropriation par autrui ; l’autre élément de la réussite des projets d’EAC étant de favoriser systématiquement la motivation du public, pour provoquer son adhésion.
A la lumière de ces deux objectifs prioritaires, s’approprier et adhérer, on comprend alors aisément que l’EAC est une démarche qualitative, avant tout pédagogique et de transmission (qui exige compétences et expérience), et à tous les niveaux.
Ce qui manque aujourd’hui aux acteurs culturels et aux collectivités territoriales, c’est une marque avérée de respect et de valorisation de leur pédagogie : des moyens financiers à la hauteur du caractère inclusif de leurs politiques culturelles sur le plan social et sociétal certes, mais avant tout une « légistique » qui attribue un réel pouvoir décisionnel aux collectivités et acteurs territoriaux et à la société civile organisée.
Propositions de remèdes
Voici quels seraient les problématiques et des remèdes possibles :
- l’accès aux infrastructures : s’agit d’ accepter d’intĂ©grer toutes les « contraintes » de mouvement des publics dits empĂŞchĂ©s dès la conception d’équipements, accepter d’intĂ©grer Ă tout Ă©quipement culturel des lieux de convivialitĂ© ouverts sur la citĂ©  ;
- des tarifs accessibles  : il faut accepter d’élaborer des politiques tarifaires qui soient réellement démocratiques (accès gratuits aux musées, des places de qualité au spectacle à prix bas et pas seulement en dernière minute pour remplir les salles) ;
- des cultures diversifiées :  en acceptant de valoriser et diffuser la plus grande variété d’usages et patrimoines culturels sans en hiérarchiser l’importance (mais en instruisant toujours l’historique des cultures et de leur métissage) ;
- une EAC pour tous : en  acceptant de réformer les programmes scolaires pour y inclure des apprentissages artistiques et pratiques culturelles de qualité et à part égale avec les enseignements dits « fondamentaux » (action culturelle), accepter de mettre en œuvre une vie artistique et culturelle au cœur des établissements de l’Education nationale dès la maternelle (diffusion artistique), et, surtout, accepter de favoriser un épanouissement émancipateur de chaque enfant (et non un formatage obstiné et sélectif) au travers d’activités d’expression et d’autonomie (création et éducation) ; ,
- la place des artistes dans la cité : en développant des projets de citoyenneté et d’aménagement territorial qui s’articulent autour de la vie culturelle et plus seulement autour de la vie économique ;
- l’ouverture de perspectives professionnelles : en reconnaissant la très forte valeur ajoutĂ©e des artistes interprètes et pĂ©dagogues pour « faire sociĂ©tĂ© » et dĂ©fendre des perspectives de carrière pour ces citoyens hors normes particulièrement investis dans un avenir plus harmonieux pour notre pays et nous-mĂŞme.
Est-ce un prix si cher à payer pour offrir à nos enfants un environnement  créatif et favorable à leur plein épanouissement  ? Est-ce un investissement trop cher pour bâtir une société inclusive et solidaire ?
Qu’attendons-nous ?
Force est de constater « l’affaissement de l’ambition politique dans ce domaine […] par un nombre non négligeable de collectivités » : comme le conclut l’Observatoire des politiques culturelles dans sa note de conjoncture de janvier 2017, « la culture n’a plus la même évidence dans les politiques territoriales ».
Bertholt Brecht écrivait : « Tous les arts contribuent au plus grand de tous les arts, l’art de vivre »… Qu’attendons-nous ?
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